L’économie politique du fémonationalisme
Sara R. Farris
Dans ce chapître, Sara R. Farris met en lumière comment le discours fémonationaliste s’articule aux logiques néo-libérales des pays d’Europe occidentale et aux divisions raciales et genrées du travail.
Paru en français en 2021, « L’économie politique du fémonationalisme » est le 5e chapitre d’Au nom des femmes, « Fémonationalisme » : les instrumentalisations racistes du féminisme, reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Syllepse
L’économie politique du fémonationalisme
Tous les centres industriels et commerciaux d’Angleterre ont maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais ordinaire déteste l’ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau d’existence moyen. Il se sent à son égard membre d’une nation dominatrice, devient de ce fait un instrument de ses aristocrates et capitalistes contre l’Irlande et consolide leur domination sur lui-même. Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l’ouvrier irlandais. II se conduit envers lui à peu près comme les Blancs pauvres envers les Noirs dans les anciens États esclavagistes de l’Union américaine. L’Irlandais lui rend la pareille largement. Il voit en lui à la fois le complice et l’instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref, par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C’est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste qui s’en rend parfaitement compte.
Karl Marx à Sigfrid Meyer et à August Vogt, à New York. [01]
Dans leur introduction de Global Woman : Nannies, Maids, and Sex Workers in the New Economy (2003), Barbara Ehrenreich et Russell Arlie Hochstchild décrivent le rôle des pays industrialisés comme celui d’un “homme à l’ancienne dans une famille” – dorloté, se croyant tout permis, incapable de cuisiner, de nettoyer ou de trouver ses chaussures. D’autre part, poursuivent les deux essayistes, “les pays pauvres endossent un rôle semblable à celui de la femme traditionnelle dans la famille – patients, nourriciers, et désintéressés” (Ehrenreich et Hochschild, 2003 : 11-12). Cette représentation des rapports entre le Nord global et le Sud global en termes de division sexuelle du travail au sein du foyer ne doit pas être comprise comme une simple métaphore des rapports de pouvoir et du développement inégal engendré par la mondialisation néolibérale. Il faut plutôt la prendre littéralement : les pays pauvres fournissent de plus en plus les nourrices, les femmes de ménage et les travailleuses du sexe aux pays riches.
L’Europe occidentale est devenue, tout particulièrement depuis le début des années 1990, un des continents – avec l’Amérique latine et l’Océanie – enregistrant la plus grande augmentation de présence féminine dans les flux d’immigration. Selon Eurostat, en 2010, les femmes “nées à l’étranger” étaient plus nombreuses que les hommes parmi les immigré·es en Irlande, en Grèce, en Italie et au Danemark, alors qu’elles n’en sont que près de la moitié dans tous les autres pays (tableau 1).
En termes sociologiques, la croissance de la migration féminine vers l’Europe occidentale – qui a commencé au milieu des années 1970 – représente la conséquence fortuite des systèmes de travailleur·euses étranger·ères instaurés dans le nord de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Alors que l’objectif des politiques de cessation des nouveaux flux migratoires et des programmes de retour pour les migrant·es résident·es, suite à la récession de 1973, était de diminuer le nombre de travailleur·euses migrant·es, pour les utiliser comme “soupapes de sécurité” afin de réduire le chômage parmi les travailleur·euses natif·ves, un certain nombre de migrants ont décidé de s’installer et d’amener leurs épouses et les membres de leurs familles avec eux (Castles, 1986 ; Castles et Vezzoli, 2009). En outre, les difficultés pour acquérir un permis de travail, dans les pays de destination du nord de l’Europe, ont réorienté les flux de main-d’œuvre vers le sud de l’Europe qui jusqu’alors envoyait elle-même des vagues d’immigré·es et n’avait donc pas encore développé de politiques d’immigration claires (Kofman et col., 2000). Pour légèrement modifier un dicton bien connu parmi les sociologues italien·nes de la migration, “les États du nord de l’Europe ne voulaient que des mains et au lieu de cela, ce sont des êtres humains (avec leurs femmes et leurs enfants) qui sont arrivés”. Bien qu’il y ait toujours eu des femmes dans les flux migratoires (et même en nombre prédominant, en fonction du pays d’origine, comme dans le cas des Philippines, et du type de déplacement, dans la migration de courte distance), à partir du milieu des années 1970, le nombre de femmes effectuant des déplacements sur de longues distances a augmenté de façon spectaculaire [02]. Après un aveuglement initial sur les questions de genre, dans les années 1970 et 1980, un corpus littéraire centré sur la présence des femmes dans la migration internationale vers l’Europe occidentale et sur la pluralité de leurs modèles et motifs migratoires s’est développé (voir chapitre 1) [03]. Le regroupement familial reste la principale motivation “officielle” d’une importante proportion de la migration féminine vers le continent, bien que cela n’empêche pas les femmes, arrivées en tant qu’épouses ou membres de la famille, de prendre part au marché du travail, souvent dans l’économie parallèle [04]. En dépit du nombre croissant d’immigrées musulmanes non occidentales, de la variété et de la richesse de leurs modèles migratoires, les offres d’emploi qui leur sont destinées restent en fait largement limitées à un nombre restreint de métiers. Comme noté précédemment, la majorité de celles qui sont actives sur le marché du travail d’Europe occidentale ne sont employées que dans un seul secteur de l’économie, à savoir le secteur de la reproduction sociale (nettoyage, services à la personne et soins de santé) [05]. Comme l’ont souligné un certain nombre de spécialistes, la demande de travail dans ce secteur a tellement augmenté ces vingt dernières années qu’il est aujourd’hui perçu comme étant la raison principale de la féminisation de la migration internationale [06]. Dans le chapitre 4, j’ai illustré comment les politiques fémonationalistes d’intégration civique dépeignent les femmes non occidentales (et en particulier musulmanes) comme des individus en besoin d’émancipation et d’indépendance économique les poussant finalement à travailler sur les marchés du travail hautement féminisés et mal payés (ou en étant entièrement bénévoles), tels que le travail domestique et le soin à autrui. Nous devons, dès lors, nous demander s’il y a un lien possible entre la ségrégation des immigrées non occidentales et musulmanes dans le secteur reproductif social et la formation idéologique fémonationaliste. Pourquoi les fémonationalistes se disent-elles solidaires de ces femmes, soi-disant “opprimées”, tout en tenant secret le fait qu’on exige d’un grand nombre d’entre elles qu’elles travaillent, alors qu’elles sont déjà exploitées, dans l’économie du soin à autrui et le nettoyage ? Comme je le dis tout au long de ce livre, les discours officiels et les politiques publiques concernant l’intégration des immigré·es sont toutes deux extrêmement genrées. En conséquence, ce sont les hommes et pas tant les femmes, qui créent des difficultés pour le processus d’intégration [07]. Considérés comme facteurs et gardiens ultimes de ce que les Européens de l’ouest considèrent comme des codes culturels misogynes et arriérés, les hommes, musulmans non occidentaux, sont accusés d’être le véritable obstacle à “l’intégration sociale et culturelle”, ce qui fait donc d’eux une menace culturelle pour l’Europe occidentale dans son ensemble. Même lorsque c’est, par exemple, la femme musulmane voilée qui semble prise pour cible et qui est qualifiée de danger culturel, lorsqu’elle refuse de retirer le hijab ou la burqa et donc de s’adapter aux normes culturelles laïques, on dit d’elle qu’elle ne le fait pas sur base d’un choix personnel – puisque ces récits nient à ces femmes le pouvoir d’agir en conscience d’elles-mêmes – mais qu’elle est opprimée par un homme (Fekete, 2006 : 18). Néanmoins, comme je le dis en particulier dans le chapitre 4, nous devons noter que les hommes et les femmes migrant·es, non occidentaux·ales musulman·es, sont également perçu·es et représenté·es de manières différentes et souvent opposées du point de vue de l’intégration économique. En conséquence, je soutiens que les slogans nationalistes de droite qui en appellent aux “emplois pour les ‘nationaux·ales’” (qui sont importants pour le succès électoral de ces partis) doivent être lus sous la forme “emplois pour les hommes nationaux”. Alors que la “sexualisation du racisme”, c’est-à-dire la distinction entre les hommes et les femmes immigré·es en fonction de stéréotypes de genre et racisés, a été largement analysée tant en termes de “culturalisation” de tropes xénophobes, sur les différences supposées insurmontables entre les cultures (ou civilisations) occidentales et non occidentales, qu’en termes d’héritage colonial, profondément enraciné dans les représentations stéréotypées de l’imaginaire européen occidental des immigrées musulmanes non occidentales, la logique politico-économique étayant le fémonationalisme a été extrêmement négligée. Un examen plus approfondi des différences entre les hommes et les femmes immigré·es, non-occientaux·ales musulman·es, dans l’arène économique en Europe occidentale peut néanmoins nous permettre de mettre davantage en lumière certaines raisons tout aussi cruciales pour le double standard (genré) mis en œuvre par les gouvernements, néolibéraux et nationalistes européens occidentaux, à l’égard de la population migrante.
Pour ce faire, ce chapitre est organisé comme suit : j’analyse d’abord le rôle spécifique des travailleur·euses migrant·es non occidentaux·ales dans les économies de l’Europe occidentale contemporaine en utilisant les idées théoriques apportées par le concept d’“armée de réserve de travailleurs”. Particulièrement développé par Karl Marx dans le volume 1 du Capital, et ensuite repris par les sociologues économiques et les sociologues de la migration à partir des années 1970, la modélisation du travail migrant en termes d’“armée de réserve” est d’une grande utilité dans le déchiffrement tant du statut économique que politique de ce type particulier de travail dans sa configuration actuelle. Je me concentre ensuite sur une analyse du travail des immigrées non occidentales qui est surreprésenté dans le secteur des services à la personne, afin de me demander si ses spécificités dans les économies d’Europe occidentale nous éclairent sur le statut particulier dont jouissent les immigrées musulmanes non occidentales dans les campagnes anti-immigration en tant que “sujet·tes rachetables”, méritant d’être défendues et même “sauvées”.
En définitive, comme le démontrera cette approche, le double standard appliqué aux immigrées musulmanes non occidentales dans l’imaginaire public, comme segment de la population migrante ayant besoin d’une attention particulière et même d’être “secouru”, ne peut pas uniquement se comprendre selon les perspectives d’analyses largement centrées sur la culturalisation du racisme, les programmes sécuritaires des États néolibéraux et l’héritage colonial de la sexualisation du racisme. Bien que cruciales, ces approches doivent être complétées par une compréhension spécifique du rôle économique des immigrées, musulmanes non occidentales, dans le contexte des réformes néolibérales des régimes d’aide sociale, dans le sens de ce que l’on appelle la marchandisation des soins, la féminisation et la racialisation des marchés spécifiques du travail, la gestion de la migration par les États d’Europe occidentale et l’actuelle reconfiguration des ordres entre les sexes. Je défendrai que tous ces facteurs caractérisent la configuration du travail des immigrées employées dans le secteur reproductif comme “commune” plutôt que relevant d’une “armée de réserve”.
Les migrant-e-s comme armée de réserve des travailleur-euse-s
Les travailleur·euses migrant·es jouent, dans les économies occidentales, le rôle d’“armée de réserve de travailleur·euses”, terme rendu célèbre, bien que pas exclusivement, par Marx, à savoir “une masse de matériel humain toujours prête à être exploitée” (Marx, 1976a : 626) [08]. Dans l’analyse de Marx, (a) l’augmentation de l’ampleur du capital social, c’est-à-dire l’ensemble des capitaux individuels ; (b) l’élargissement de l’échelle de production ; et (c) la croissance de la productivité d’un nombre de plus en plus grand de travailleur·euses provoquée par l’accumulation de capital, ont créé une situation où la plus grande “attraction des ouvrier·ères pour le capital s’accompagne de leur plus grande répulsion” (Marx, 1976a : 625). Ces trois processus en corrélation ont, pour Marx, fixé les conditions selon lesquelles la population laborieuse donne lieu “en même temps qu’à l’accumulation de capital qu’elle produit, [également aux] moyens qui la rendent relativement superflue et la transforment en une population relativement excédentaire ; et elles le font de manière toujours plus croissante” (Marx, 1976a : 625). Marx décrit cela comme une loi de population particulière au mode de production capitaliste, tout comme d’autres modes de production ont leurs propres lois de population qui leur correspondent. Le paradoxe de la création d’un excédent de population active dans le cadre du mode de production capitaliste est qu’alors qu’il s’agit “d’un produit d’accumulation nécessaire”, cet excédent de population est aussi le levier d’une telle accumulation ; à savoir que c’est cela qui “forme une armée de réserve de travailleurs industriels disponibles appartenant au capital tout aussi absolument que si ce dernier l’avait élevée à ses propres frais” (Marx, 1976a : 626).
La discussion au sujet de la création de l’armée de réserve de travailleur·es porte purement sur l’analyse que fait Marx de la composition organique du capital et de la tendance qu’a l’accumulation capitaliste à encourager l’accroissement “de sa constante, aux dépens de sa composante variable” (Marx, 1976a : 623). En d’autres termes, la création d’un groupe de chômeur·euses et de sous-employé·es (ou ce que Marx appelle les trois formes de l’armée de réserve de travailleur·euses : flottante, stagnante et latente) est due au besoin qu’à le capital d’augmenter la masse et la valeur des moyens de production (c’est-à-dire, les machines), aux prix de la diminution de la masse et de la valeur du travail vivant (c’est-à-dire, les salaires et les travailleur·euses). En fait, un élément crucial dans la réduction des salaires et des travailleur·euses, ou capital variable, est le développement technique et la mécanisation, qui, avec d’autres facteurs, entraîne l’expulsion d’un certain nombre de travailleur·euses du processus productif et par conséquent la création d’un excédent de travailleur·euses dont on n’a plus besoin. Malgré cela, Marx voyait une limite inévitable à la mécanisation, car la main-d’œuvre est la source principale de valeur ajoutée et c’est donc cet élément du processus qui ne peut pas être entièrement remplacé par les machines. Il s’agit d’une des raisons pour laquelle l’histoire du capitalisme, pour garantir et augmenter l’accumulation de capital, a vu le développement d’un certain nombre de stratégies visant toutes à diminuer la masse et la valeur de capital variable, mais également à limiter les écueils d’une mécanisation totale. Parmi ces stratégies figurent : (a) la délocalisation de la production dans des régions où la main-d’œuvre est bon marché plutôt que l’investissement dans une innovation technologique onéreuse pour maintenir les sites productifs situés dans des régions où la force de travail est “coûteuse” ; (b) un recours à l’apport de main-d’œuvre bon marché généralement fournie par les travailleur·euses migrant·es, tout particulièrement dans les secteurs productifs non délocalisables (tels que la construction et l’industrie des services, par exemple), provoquant ainsi des formes de concurrence entre les travailleur·euses “natif·ves” et “non-natif·ves” pour les emplois disponibles. C’est pour cette série de raisons, comme en témoigne le passage au début de ce chapitre, que, déjà à l’époque de Marx, les migrant·es occupaient une place particulière au sein de la reproduction capitaliste d’excédent de populations actives, situation permettant aux capitalistes de maintenir la discipline salariale et d’inhiber la solidarité de la classe ouvrière grâce à l’application de la logique diviser pour mieux régner. Dans l’Europe occidentale, du 19e et du début 20e siècle, il s’agissait généralement de travailleur·euses ruraux·ales contraint·es de se déplacer vers les villes ou les régions/nations voisines, suite à l’expropriation de leurs terres et au processus d’industrialisation et aux politiques d’État, visant à fournir de la main-d’œuvre aux industries manufacturières urbaines en pleine croissance (Burawoy, 1976 ; Brox, 2006). Dès le milieu du 20e siècle, la réserve de travailleur·euses migrant·es vers l’Europe occidentale, et tout particulièrement le nord de l’Europe, était de plus en plus composée de sujet·tes (essentiellement des hommes) non-européen·nes ou venant du sud de l’Europe cherchant à trouver du travail dans des villes plus riches, celles-ci étant souvent les métropoles qui avaient dominé et appauvri leurs pays d’origine sous le colonialisme.
En dépit de sa puissance analytique, le concept d’armée de réserve de travailleur·euses n’a pas toujours joui d’un grand succès. L’hégémonie dans la sociologie de la migration, d’approches du choix rationnel présentant les mouvements de population comme étant le résultat de décisions individuelles a contribué, tout particulièrement dans les années 1960, à marginaliser et à discréditer ce concept classiquement marxiste au sein de cette pensée majoritaire. Ce n’est que dans les années 1970 et 1980 qu’une nouvelle génération d’intellectuel·les a recommencé à utiliser la notion d’armée de réserve de travailleur·euses pour décrire les migrant·es comme parties spécifiques de la main-d’œuvre [09]. Au travers de cette notion, iels ont essayé, en particulier, de comprendre le travail migrant et l’essor des migrations internationales dans le cadre plus large du développement inégal, de l’expansion capitaliste des sociétés préindustrielles et de l’érosion des économies rurales ainsi que des accords entre États. Ainsi, iels ont cherché à mettre en évidence les éléments de surdétermination et de multidirectionalité impliqués dans de tels phénomènes. Dans leur travail novateur de 1973, Immigrant Workers and Class Structure in Western Europe, Stephen Castles et Gudula Kosack définissent “les masses de chômeurs des régions moins développées [comme] un nouveau type d’armée de réserve industrielle – une armée externe composée d’hommes désespérés et démunis que l’on peut recruter ou renvoyer comme le dictent les intérêts des employeurs” (Castles et Kosak 1973 : 377) [10]. Entre le début des années 1950 et la fin des années 1960, l’embauche de migrant·es issu·es de régions plus pauvres d’Europe occidentale a permis aux industries de maintenir des salaires peu élevés dans des secteurs moteurs clés de l’économie (principalement le secteur de la production industrielle et la construction), concourant ainsi à des taux de profit élevés et soutenant la croissance du PIB. En soumettant les migrant·es à des horaires de travail plus longs, à une plus grande intensité de travail, aux conditions les moins sûres et à une très grande insécurité professionnelle, les employeurs pouvaient économiser sur les coûts de l’organisation du travail et de la reproduction sociale (Castells, 1975 : 46). Des économies dans les coûts de la reproduction sociale étaient également possibles grâce au recrutement de jeunes migrant·es jeunes plus productif·ves (c’est-à-dire en bonne santé), permettant ainsi aux compagnies d’éviter de payer “les coûts d’“élevage” de l’ouvrier·e et les frais d’entretien à la fin de sa vie professionnelle” (Castells, 1975 : 47). En outre, alors que ces travailleur·euses étaient souvent célibataires ou vivaient avec leurs familles dans des conditions considérablement inférieures au standard des unités non migrantes, les employeurs ne supportaient pas leurs frais de reproduction ni ceux de leurs familles. La “disponibilité” de l’armée de réserve de main-d’œuvre migrante est devenue particulièrement évidente après la crise de 1973. Ce fut la première crise internationale du capitalisme en Europe occidentale à se produire parallèlement à une présence massive de migrant·es internationaux·ales extra-européen·nes. Entre 1973 et 1974, le taux de chômage des travailleur·euses migrant·es augmenta de façon spectaculaire, l’entrée de travailleur·euses étranger·ères fut restreinte et des voies de retour instaurées afin d’encourager les migrant·es résident·es à rentrer dans leur pays d’origine [11]. De plus, la montée du climat xénophobe attisé par la hausse du chômage durant la crise a contribué à leur identification comme “adversaires” de la main-d’œuvre native, mettant ainsi en péril toute forme de solidarité de classe et de syndicalisation (Castells, 1975 ; Castles, 1986). C’est, particulièrement, depuis la crise de 1973 que l’association entre les déclins économiques, les taux croissants de chômage des travailleur·euses migrant·es et les restrictions d’entrée et de droits sont devenus des lieux communs de la littérature scientifique (Koser, 2010 ; Tilly, 2011). Bien qu’en continuant à utiliser le concept d’“armée de réserve” pour décrire la condition des travailleur·euses migrant·es, des approches plus récentes ont eu tendance à le réinterpréter, particulièrement pour essayer de s’attaquer à la complexité accrue du travail migrant et des flux de migration internationale au cours du 21e siècle. En conséquence, nous pouvons identifier dans la littérature spécialisée trois grandes tendances, qui cherchent à problématiser et/ou à reformuler le concept d’armée de réserve de travailleur·euses dans les nouvelles conditions de la conjoncture néolibérale post-fordiste.
D’une part, plusieurs spécialistes de la migration ont questionné la théorie de l’armée de réserve de travailleur·euses du point de vue de l’importance qu’elle accorde à l’antagonisme entre les travailleur·euses pour les salaires, provoqué par la tendance constante du capital à les réduire. La main-d’œuvre migrante dans les sociétés d’Europe occidentale, en particulier, est donc analysée en fonction de son rôle de “concurrente” ou de “complément” à la main-d’œuvre native (Reyneri et Baganha, 2001 ; Harris, 1995). Comme de nombreuses études à travers l’Europe l’ont montré, les migrant·es sont principalement engagé·es dans le secteur informel pour des tâches – ces célèbres “three D jobs (dirty, dangerous and demanding)” – que les travailleur·euses nationaux·ales ont tendance à refuser en grande partie en raison de leurs salaires extrêmement bas et des difficiles conditions de travail (Somerwille et Sumption, 2009). Cette approche souligne ainsi qu’en réalité, les migrant·es ne rivalisent pas sur les mêmes emplois que les travailleur·euses natif·ves ; iels sont plutôt engagé·es dans ces secteurs qui ont été “abandonnés” par ces dernier·ères. Dans cette optique, il a été question de savoir si la main-d’œuvre migrante devait toujours être qualifiée d’armée de réserve, un terme qui désigne un rôle – celui de “concurrent” – que ne jouent pas les travailleur·euses migrant·es. Alors que cette perspective a eu l’effet salutaire de neutraliser, ou du moins de problématiser, l’accusation la plus politiquement persistante (et fausse) contre les travailleur·euses migrant·es “voleur·euses de travail”, elle a également réduit la pertinence du recours au concept d’armée de réserve pour aborder la situation de l’emploi dans ces segments particuliers du marché du travail. L’effet politique possible de la création d’une armée de réserve – à savoir son antagonisme forcé avec les employé·es natif·ves – peut ainsi être traité comme une cause, ou comme un élément qui définit si oui ou non une fraction de la main-d’œuvre appartenant à la population active est excédentaire dans tel ou tel secteur.
D’autre part, d’autres spécialistes affirment qu’il ne faut pas utiliser le concept d’armée de réserve de travailleur·euses pour les seul·es travailleur·euses migrant·es. Dans cette perspective, la restructuration néolibérale de l’économie en Europe occidentale a instauré des conditions permettant de transformer toustes les travailleur·euses en véritables ou potentiel·les soldat·es de réserve pour le marché du travail. La décentralisation de la négociation des salaires, l’individualisation croissante des conditions contractuelles et la croissance des contrats à durée indéterminée, plaçant un plus grand nombre de travailleur·euses dans un état d’extrême précarité, sont les recettes principales de ce que l’on appelle la réorganisation post-fordiste du travail. Dans leur discussion sur la “segmentation de la classe salariée”, par exemple, Luc Boltanski et Ève Chiapello, citant Christophe Dejours, considèrent “la constitution d’une “armée de réserve” de travailleur·euses condamnée à l’insécurité permanente, à un salaire insuffisant et à une alarmante flexibilité de l’emploi” comme une condition généralisée qui affecte en particulier les travailleur·euses peu qualifié·es (Boltanski et Chiapello, 2005 : 231). Cet argument identifie une tendance importante touchant le statut du travail dans l’Europe occidentale contemporaine. Il met en outre l’accent sur le fait que la création d’une armée de réserve ne se limite pas au cas des travailleur·euses migrant·es, mais qu’il s’agit d’une conséquence structurelle du système économique actuel. Néanmoins, les limites de cette approche, de mon point de vue, résident dans son extension excessive et dans la dilution consécutive de la notion d’armée de réserve qui mine par là même sa valeur analytique. En classant indifféremment les travailleur·euses migrant·es et nationaux·ales comme des troupes de rang de l’armée mondiale de réserve de travailleur·euses sous le néolibéralisme, nous passons à côté de différences fondamentales : à savoir, la privation de droits politiques et sociaux que subissent les travailleur·euses migrant·es et leurs conditions de travail et de vie qui sont par conséquent bien pires [12]. En tant que non-citoyen·nes et souvent résident·es et/ou travailleur·euses illégaux·ales, les migrant·es constituent toujours la main-d’œuvre la plus disponible et fragile dans les sociétés occidentales. Bien que la main-d’œuvre migrante soit devenue bien plus diversifiée au cours de ces vingt dernières années, avec des formes de travail informel et indépendant, dans les “enclaves ethniques” ou de migrant·es et la création de multiples couches de marchés segmentés du travail en expansion, les travailleur·euses migrant·es restent en première ligne du chômage [13]. D’autres spécialistes encore mettent davantage l’accent sur le rôle de l’État dans la création d’armées de réserve de travailleur·euses au moyen de la dérégulation du marché, de réformes de l’aide sociale et de la “gestion de la migration”. Plutôt que d’apporter des formes de protection sociale pour le nombre croissant de chômeur·euses et de sous-employé·es, les politiques étatiques de ces quinze dernières années ont poussé l’exacerbation de formes d’individualisation des contrats de travail, poussant à la précarisation et au chômage d’importantes quantités de travailleur·euses. En outre, la fermeture des frontières des États et les réformes dans les contrôles migratoires dans le sens d’un encouragement temporaire (ou circulaire) de la migration ont de facto contribué à transformer de nombreux·ses migrant·es en soldat·es de réserve, sous-employé·es ou chômeur·euses de l’armée nationale de travailleur·euses, une fois le contrat de travail et le visa expirés. De ce fait, comme on le soutient pour le cas britannique d’une façon qui pourrait facilement être étendue à d’autres contextes européens occidentaux, le concept d’armée de réserve de travailleur·euses saisit avec précision la direction récente de la politique d’immigration, “dans laquelle les travailleur·euses migrant·es sont moins traité·es comme de potentiel·les citoyen·nes que comme des unités de main-d’œuvre, dont la réserve peut être (du moins en théorie) activée et désactivée” (May et col., 2007 : 162). En conséquence, la formation d’un excédent de populations actives n’est pas simplement le résultat d’une logique d’accumulation intrinsèque au mode de production capitaliste, mais aussi le produit du rôle actif de l’État en tant que médiateur le plus important des intérêts capitalistes dans le capitalisme néolibéral.
Dans le prolongement de cette dernière approche en particulier, je voudrais indiquer que la notion marxiste d’armée de réserve de travailleur·euses associée à ces théories, qui mettent l’accent sur les opérations de l’État-nation pour aider à produire et reproduire une telle réserve, est un instrument essentiel pour décrire les conditions de la main-d’œuvre migrante dans la conjoncture actuelle. Elle nous permet notamment de déchiffrer tant le processus politique qu’économique de la fabrication des travailleur·euses migrant·es comme une nouvelle classe mondiale de dépossédé·es à divers égards. Cela met en lumière comment le rôle de la main-d’œuvre “disponible” et “remplaçable” joué par les migrant·es au sein de l’économie mondiale est une conséquence structurelle de l’accumulation capitaliste et non un phénomène amené par les migrations internationales elles-mêmes. Les migrant·es sont souvent des chômeur·euses qui, en raison des échecs des programmes d’ajustement structurel et de l’expropriation de leurs terres, ont été exclu·es des processus de production dans leurs propres pays, en tant que membres d’une “population active excédentaire” ; en outre, iels sont parmi les premier·ères à perdre leur emploi et à gonfler les rangs de l’armée de réserve stagnante d’Europe occidentale lorsque se produit une crise, comme l’a démontré la crise pétrolière de 1973 et l’a confirmé la récente crise économique mondiale [14]. .Tandis que dans les périodes d’essor économique et de faible taux de chômage, les employeurs tirent généralement profit des travailleur·euses migrant·es et s’en servent afin d’imposer une discipline salariale, dans les périodes de ralentissement ou de stagnation économique, ces mêmes travailleur·euses deviennent les boucs émissaires de la mauvaise situation économique. De nos jours, les migrant·es sont fréquemment présenté·es à travers l’Europe comme formant une réserve de main-d’œuvre bon marché dont la présence menace les travailleur·euses “nationaux·ales” de perdre leur emploi, d’une diminution de leurs revenus et d’une détérioration des dispositions en matière de sécurité sociale (écoles, services du système de santé, logement, etc.). Les taux de chômage élevés, les conséquences de la récente dramatique crise économique et l’érosion ininterrompue des droits des travailleur·euses sont un ensemble d’éléments qui intensifient l’idée de concurrence entre les travailleur·euses “nationaux·ales” et “non nationaux·ales”. Dans ce contexte, l’importante ascension des partis nationalistes de droite faisant campagne sous la bannière de l’opposition à l’immigration, et aux migrant·es musulman·es en particulier, en tant que menace économique et sociale indique comment ces partis ont profité et même exacerbé un climat de peur de l’étranger·ère dont on dirait qu’il constitue le résultat normal des périodes de crise.
Reste néanmoins que j’ai auparavant affirmé que les immigrées musulmanes non occidentales, en Europe occidentale aujourd’hui, ne sont ni présentées ni perçues de la même manière que les hommes immigrés. Non seulement elles ne sont pas caractérisées comme dangereuses socialement et économiquement pour les populations européennes occidentales, comme c’est le cas pour les hommes, mais elles sont en outre mises en avant comme personnes que les nationalistes et les néolibéraux·ales bienveillant·es souhaitent intégrer et émanciper. De plus, le rôle que jouent ces femmes au sein de l’économie capitaliste contemporaine, en tant que fraction d’une main-d’œuvre migrante ségréguée dans le secteur nouvellement marchand que sont devenus le travail domestique et le soin à autrui, est sans doute également différent. Mais pourquoi ?
La migration des femmes et la marchandisation du travail domestique et du soin à autrui
Comme j’ai commencé à l’illustrer dans l’introduction de ce chapitre, les femmes musulmanes non occidentales se retrouvent extrêmement concentrées dans un très petit nombre d’emplois. En Europe occidentale, 42 % d’entre elles ne travaillent que dans trois secteurs : le secteur des services à la personne dans les ménages privés, le secteur des soins en hôpitaux, en maison de repos, à domicile et le secteur du nettoyage (tableau 2). Les immigrées musulmanes non occidentales sont par conséquent principalement employées dans ce que l’on appelle la reproduction sociale, les emplois domestiques et du soin à autrui dans les ménages privés, absorbant en moyenne près d’un quart d’entre elles et entre la moitié et un tiers d’entre elles dans les pays méditerranéens (50 % en Italie, 38 % en Grèce, 36 % en Espagne et 29 % au Portugal) [15]. Alors que les statistiques officielles dénombrent 22 % de femmes “nées à l’étranger” employées dans le travail domestique et du soin à autrui dans les pays d’Europe occidentale, on ne retrouve que 5 % de femmes “natives” dans le même secteur.
La différence entre les femmes nées à l’étranger et les natives atteint même 11 % contre 1 %, si nous ne prenons en considération que ces femmes occupées dans des “activités des ménages en tant qu’employeurs de personnel domestique”, ce qui concerne essentiellement le travail, peu qualifié et peu rémunéré, proposé par des familles individuelles. Bien que les statistiques officielles soulignent l’importance des femmes nées à l’étranger dans le secteur, ces chiffres tendent généralement à être “prudents” parce qu’il est difficile d’apporter une estimation fiable de la part de migrantes employées comme travailleuses domestiques et du soin à autrui. Cela est dû aux différences dans la collecte de données par les différents pays mais, par-dessus tout, au fait qu’une grande partie de ce travail est effectué par des migrantes sans papiers, au sein de l’économie parallèle [16]
. Les migrantes travailleuses, dans les services à la personne et employées de maison dans des ménages privés, sont confrontées à des conditions d’emploi différentes, en fonction de la gestion que fait le pays de la migration de la main-d’œuvre non qualifiée et de l’offre de soins, ainsi que de sa culture spécifique du soin. Par conséquent, les migrantes peuvent être engagées à l’heure (souvent de manière non déclarée) comme c’est couramment le cas en France et aux Pays-Bas, ou comme travailleuses à domicile, comme en Italie et en Espagne [17].
Dans l’Europe occidentale actuelle, comprendre l’exception que constituent les immigrées, musulmanes non occidentales, en tant que main-d’œuvre migrante semblant être épargnée des accusations de menace économique, sociale ou culturelle, nous fait donc examiner de plus près le travail domestique et du soin à autrui. En d’autres termes, si nous voulons déchiffrer la matérialité de l’idéologie fémonationaliste aux Pays-Bas, en France et en Italie, nous devons être très attentif·ves aux actuelles dispositions institutionnelles et informelles que prennent ces États-nations, lorsqu’ils gèrent la main-d’œuvre domestique et du soin à autrui et les travailleuses immigrées. Qu’est-ce qui distingue le secteur domestique et du soin à autrui, où sont principalement employées les immigrées musulmanes non occidentales ou vers lequel elles sont dirigées, des autres secteurs qui emploient majoritairement des immigré·es ?
Les Pays-Bas
L’une des principales spécialistes néerlandaises des travailleur·euses domestiques immigré·es, Sarah van Walsum, soutient que “les chercheur·euses généralistes et axé·es sur la politique néerlandais·es qui travaillent sur la migration de travail ont systématiquement négligé le fait qu’un grand nombre de migrant·es sont employé·es (illégalement) dans des foyers néerlandais, alors que les quelques auteur·trices d’études quantitatives qui ont étudié le marché néerlandais des services domestiques (non déclarés) sont resté·es tout aussi muet·tes sur le rôle que jouent les immigré·es et les minorités ethniques dans ce secteur” (van Walsum, 2011 : 142). Et pourtant, comme l’ont démontré plusieurs sources (instituts de recherche et rapports syndicaux, thèses de doctorat et organisations de travailleuses domestiques), les migrantes non occidentales (souvent des femmes sans papiers) et les femmes de minorité ethnique sont non seulement très présentes dans les ménages néerlandais, tout particulièrement comme femmes de ménage et nourrices, mais il y a également de fortes chances que cette présence s’accroisse dans un futur proche. Les réarrangements institutionnels en cours dans le système de soins aux personnes âgées et en particulier les changements touchant les schémas d’emploi des femmes vont en ce sens. Un aperçu du régime d’aide sociale néerlandais dans une perspective historique nous aidera donc à clarifier ce phénomène.
Aux Pays-Bas, la demande de main-d’œuvre migrante dans le secteur du soin à autrui, et tout particulièrement dans le secteur domestique, augmente lentement depuis la fin des années 1980. Cette augmentation a été de pair avec l’instauration de lois visant à accroître l’entrée des femmes néerlandaises sur le marché du travail et la création de modèles semi-professionnels, tels que celui d’ “assistant·e alpha” (alpha-hulp) aux conditions de travail précaires et non réglementées. Le rôle d’assistante alpha, aidante individuelle travaillant directement avec la personne, âgée ou dépendante, chez elle, fut initialement introduit en 1977. Ce modèle fut ouvertement encouragé comme mesure destinée à augmenter le taux d’activité des femmes néerlandaises (un des plus faibles d’Europe à l’époque), en se basant sur l’hypothèse qu’étant donné que leurs revenus n’étaient destinés qu’à compléter ceux de leurs maris, elles pouvaient bien travailler à ces conditions inférieures Van Hooren (2011) [18]. Ainsi, une exonération d’impôt fut accordée au modèle d’assistante alpha pour lequel il n’y avait pas de salaire minimum garanti, d’allocations de chômage ni d’assurance maladie. Depuis 2007, et la décentralisation de la mise à disposition de services domestiques subsidiés vers les municipalités (WMO, Maatschappelijke Ondersteuning), l’embauche d’assistante alpha est à nouveau en pleine expansion mais, désormais, une grande partie d’entre elles sont susceptibles d’être des migrantes. D’après la nouvelle réglementation, les employeurs privés qui engagent une travailleuse domestique, notamment celles qu’on appelle les assistantes alpha, pour moins de trois jours par semaine, sont exemptés d’impôts et ne sont pas tenus de payer des cotisations de sécurité sociale ni d’enregistrer la relation de travail. Depuis l’introduction de la WMO “une augmentation marquée du pourcentage d’assistantes alpha engagées dans la mise à disposition de services domestiques subsidiés de 20 à 80 %” a été enregistrée, en même temps qu’une “hausse dans le recrutement de personnel par les sociétés commerciales de nettoyage, un segment du marché du travail néerlandais dans lequel les minorités ethniques sont fortement surreprésentées” (van Walsum, 2011 : 147). Bien que l’actuelle part de travailleuses “allochtones” dans ce nouveau scénario décentralisé ne soit pas encore claire, nous savons aussi que les municipalités néerlandaises mettent la pression sur les chômeuses de minorités ethniques (souvent musulmanes), pour qu’elles acceptent de travailler dans le secteur domestique et du soin à autrui, souvent, dans le cas des immigrées non européennes/non occidentales, au travers de programmes d’intégration civique (voir chapitre 4). Les nouvelles réglementations ont donc grandement encouragé la reproduction du travail dans les services à la personne en tant que secteur parallèle et dissimulé, où les migrantes sans papiers et sans protection ou les femmes de minorités ethniques sont de plus en plus susceptibles d’être employées. Les études menées au niveau local par des instituts de recherche, des syndicats et des spécialistes travaillant dans le domaine, évoquent plus d’un million d’immigrées (souvent sans papiers) employées comme aide-ménagère (employées de maison et parfois gardiennes d’enfants) travaillant à l’heure dans des ménages privés (Botman, 2010). Bien que les politiques migratoires néerlandaises soient très restrictives, rendant “pratiquement impossible l’obtention d’un permis de travail pour des services à la personne privés”, elles ont contribué à accroître la demande de femmes nées à l’étranger dans le secteur [19].Quant à l’aide sociale pour les personnes âgées et les personnes dépendantes dans les institutions “publiques”, les statistiques officielles parlent d’une hausse modeste du nombre de travailleuses allochtones, entre 1999 et 2004, en comparaison d’autres branches de l’économie (Van Hooren, 2011). Le nombre relativement faible de travailleuses immigrées dans le secteur du soin aux personnes âgées dans les institutions publiques résulte essentiellement du fait que cette branche de l’économie offre de relativement bonnes conditions de travail avec des possibilités de travail à temps partiel et d’évolution de carrière (Pijl et Ramakers, 2007).
Par conséquent, aux Pays-Bas, les immigrées, musulmanes non occidentales, sont fréquemment reléguées aux emplois peu qualifiés, sous-payés et non réglementés de l’économie privée des services à la personne. Bien que leur importance pour ce secteur ne soit pas du tout reconnue dans les statistiques officielles, les nouvelles réglementations étatiques sur le recrutement décentralisé dans l’aide sociale ainsi que la gestion de la migration et des programmes d’intégration poussent de plus en plus d’immigrées à travailler dans cette niche économique, pour laquelle la main-d’œuvre native est rare.
France
Comme aux Pays-Bas et dans d’autres pays européens, les immigrées, musulmanes non occidentales, ainsi que les femmes d’autres groupes minoritaires sont surreprésentées en France dans le secteur des services à la personne (Jolly et col., 2012 : 27-28). Ceci est autant lié au dynamisme économique des professions de l’aide sociale et du travail domestique (en raison du vieillissement de la population et du taux élevé d’activité professionnelle des femmes françaises), qu’à la possibilité de travailler dans ce secteur sans certificat ni diplôme. La France est un des pays européens, dont les taux d’activité économique des femmes et des femmes travaillant à temps plein sont les plus élevés (Windebank, 2007). Cela ne s’est néanmoins pas traduit par une division équitable entre les sexes dans le travail domestique et du soin à autrui. Pour s’attaquer à ce problème, un certain nombre de programmes a été présenté, depuis le début des années 1990, avec pour objectif principal de simplifier les procédures et de réduire les coûts liés à l’externalisation du travail domestique et du soin à autrui à des employées rémunérées. En 2006, le gouvernement français a introduit le CESU (chèque emploi-service universel) présenté comme une mesure destinée à “donner aux citoyen·nes français·es les “moyens de mieux articuler leurs vies familiale et professionnelle”, en les libérant des contraintes de la vie quotidienne et d’étendre l’utilisation de services domestiques rémunérés au ‘plus grand nombre possible’” (Windebank, 2007 : 258). Dans le cadre du programme CESU, une famille peut engager une travailleuse domestique en la payant avec des chèques qu’elle peut acheter dans sa banque locale. Les employeurs tirent profit de ce programme en bénéficiant d’une réduction de l’impôt sur le revenu de 50 % sur ces frais, alors que l’employée est payée au salaire minimum national. De plus, les entreprises peuvent contribuer aux frais auxquels leurs employé·es font face en achetant les chèques tout en ayant droit à une réduction d’impôt de 25 % sur cette dépense. L’embauche de travailleuses domestiques se déroule non seulement au travers de l’engagement direct par un employeur privé, mais également par l’intermédiaire d’autres acteurs tels que des entreprises privées offrant des services de nettoyage, de jardinage et d’entretien ménager et des associations, à but non lucratif, qui s’occupent de personnes âgées et d’enfants. Dans tous les cas, ces nouvelles politiques CESU sont devenues les principales génératrices d’emploi dans le secteur des services à la personne. Comme l’affirme Scrinzi, “tout en contribuant à la normalisation de l’emploi non déclaré dans le secteur, ces politiques n’ont pas remis en cause l’association de ces emplois avec le travail domestique non rémunéré des femmes” (Scrinzi, 2011 : 156). En outre, elles ont renforcé les “divisions de classe et ethniques/nationales basées sur l’accès différencié des familles aux services de soins marchandisés” et “ont également eu pour conséquence une segmentation accrue du marché du travail sur base de l’organisation racisée et genrée du travail” (Scrinzi, 2011 : 156). En dépit des preuves indiquant que les femmes musulmanes non occidentales se taillent la part du lion des emplois dans les services à la personne pour lesquels la demande est en hausse, les gouvernements français, tout comme leurs homologues néerlandais, ont été réticents à reconnaître que ce type de travail soit un secteur économique employant spécifiquement des immigré·es. Par conséquent, aucun permis de travail particulier n’est délivré aux travailleuses domestiques migrantes. De plus, les statistiques en France font rarement référence aux “catégories ethniques”, avec pour conséquence peu de données concernant les nationalités ou le pays d’origine de ces travailleuses. En dépit de cela, une étude des structures du soin aux personnes âgées livre que c’est devenu un emploi refuge pour les femmes musulmanes, confrontées à la discrimination et au racisme dans d’autres types d’emplois (Avril, 2006).
Italie
La demande croissante des familles italiennes pour des soins sociaux, en particulier ces vingt dernières années, est la raison du nombre croissant d’immigrées utilisées comme employée de maison et en particulier comme aide-soignante (badanti ; sing., badante) par des ménages privés. Cette situation a, non seulement, fait l’objet d’une attention accrue de la part des médias, mais a également poussé les sociologues, les spécialistes de la migration et les féministes à parler d’une transition fondamentale, en cours dans la société italienne, d’un “modèle familial du soin” à un “modèle du soin avec une migrante dans la famille” (Bettio et col., 2006). En Italie, la famille est l’acteur principal des soins aux personnes âgées, aux infirmes et aux enfants. La reconnaissance du rôle essentiel joué par les familles ne s’est, cependant, pas traduite en politiques destinées à soutenir leurs membres dans leurs activités de soins (telles que des dispositions publiques ou des services de soins publics/abordables). Dans le cas des personnes âgées ou dépendantes, par exemple, la forme principale de soins de longue durée en Italie est l’allocation de présence en espèces (indennità di accompagnamento, c’est-à-dire une mesure testée selon les besoins qui peut être dépensée à la discrétion totale du bénéficiaire). Cette allocation de présence en espèces a été instaurée, en 1980, pour gérer la demande de soins des “citoyennes incapables de travailler et qui n’ont pas les moyens nécessaires à leur survie” (INPS, 2012a). D’après les chiffres officiels, en 2011, environ cinq millions de personnes ont reçu une forme de pension sociale ou d’allocation de présence (INPS, 2012b). Pour ce qui concerne la garde d’enfants, et tout particulièrement des enfants de zéro à 3 ans, les services sont principalement privés et le nombre de gardiennes d’enfants n’est pas suffisant pour répondre aux besoins des familles de travailleur·euses. En effet, l’accueil de la petite enfance (scuola materna) est destiné aux enfants de trois à six ans. C’est à cause de ce vide et/ou de cette insuffisance de services publics abordables pour s’occuper des personnes âgées et des enfants que les travailleuses migrantes non occidentales jouent un rôle essentiel. En 2010, l’Istituto Nazionale Previdenza Sociale (INPS) dénombrait 871 834 contrats d’aidantes et d’aide-ménagères (domestiche, colf e badanti) alors que les estimations évoquent plus d’un million de travailleuses employées dans ce secteur, souvent de manière informelle, dont un grand nombre sont des migrantes (Pasquinelli, 2016). La majorité des femmes non italiennes employées dans ce secteur viennent d’Europe de l’Est, même si des études menées au niveau local montrent que les femmes issues de toutes les régions du Sud global sont bien représentées – tout particulièrement parce que ce sont les seules opportunités professionnelles qu’elles ont dans ce pays [20]. Nul doute que le rôle déterminant des immigrées non occidentales, dans les familles italiennes et l’augmentation de leur nombre ces vingt dernières années soient la conséquence du manque de services publics à la personne et de leurs coûts élevés, lorsqu’ils sont privés. La sous-traitance des soins aux immigrées permet aux familles italiennes de maintenir leur modèle familial et une division genrée des tâches, ainsi que de faire des économies, parce que ces immigrées travaillent davantage d’heures pour des salaires très faibles [21]. Le “modèle de la migrante dans la famille” représente dès lors avant tout une solution rentable et acceptable pour les hommes et pour les femmes (van Hooren, 2011 : 59). Enfin, il est d’une importance cruciale dans le contexte de cette étude de constater le rôle que jouent les politiques d’immigration dans la stimulation du recrutement d’immigrées musulmanes non occidentales comme travailleuses dans les services à la personne. En 2002, une nouvelle loi sévère sur l’immigration répondant au nom de loi Bossi-Fini, tirant son nom respectivement des dirigeants de l’époque de la LN et de l’Alleanza Nazionale, autrement dit les partis anti-immigration les plus actifs du gouvernement, fut rapidement suivie par la régularisation des travailleuses dans les services à la personne. En dépit des restrictions sévères en matière d’immigration de la nouvelle loi, la LN a apporté un soutien significatif à la régularisation de “toutes ces extracommunautaires, dont la majorité est composée de femmes qui exercent des activités extrêmement importantes socialement pour les familles” (Roberto Maroni, cité par van Hooren, 2011 : 67). En 2005, sous le gouvernement néolibéral dirigé par Berlusconi, des quotas d’immigration spécifiques pour les travailleuses des services à la personne furent délivrés pour la première fois, permettant l’entrée de 15 000 travailleuses de ce secteur dans le pays ; autrement dit, autant que pour tous les autres emplois combinés. En 2006, le même gouvernement “a autorisé l’entrée de 45 000 travailleur·euses supplémentaires du soin à autrui, ce qui représente encore davantage que pour l’ensemble des autres emplois (33 500)” (van Hooren, 2011 : 68). Le programme anti-immigration plus sévère du nouveau gouvernement Berlusconi, en 2008, a entraîné la suspension des quotas d’immigration présentée comme une réponse à la crise économique globale qui aurait rendu inutile le recours aux travailleuses migrantes. Néanmoins, exception fut faite pour les travailleuses des services à la personne pour lesquelles le quota record de 105 400 fut instauré. En 2009, le gouvernement n’a donc accordé une amnistie qu’aux migrantes illégales travaillant dans le secteur du soin à autrui (badanti) étant donné que ce dernier était le seul secteur où la demande de travail ne pouvait pas être satisfaite par l’offre nationale. À cette occasion, Roberto Maroni de la LN (alors ministre de l’intérieur) a une nouvelle fois déclaré, “Il ne peut y avoir de régularisation pour ceux qui sont entrés de manière illégale, pour ceux qui ont violé une femme ou cambriolé une villa, mais nous prendrons certainement en compte toutes ces situations qui ont un impact social important, comme c’est le cas des migrantes aides familiales” [22]. Les partis de droite anti-immigration tels que la LN semblent par conséquent être prêts à fermer les yeux sur les migrantes sans papiers, lorsqu’il s’agit de femmes travaillant dans le secteur des services à la personne.
Comme le montre cet aperçu de la situation dans les trois pays, ces vingt dernières années, le vieillissement de la population et la participation croissante des femmes “natives” sur le marché du travail, n’ayant entraîné ni augmentation des services publics à la personne ni changements dans la division sexuelle du travail au sein des ménages, font certainement partie des raisons de la demande croissante d’aides-soignantes et d’aide-ménagères privées et ont constitué une puissante impulsion pour la féminisation des flux migratoires contemporains. Même pour les musulmanes citoyennes européennes – cas plus fréquent en France et aux Pays-Bas qu’en Italie – les services à la personne sont devenus le principal secteur accessible en termes d’emplois. Tout en étant plus souvent discriminées et invitées à retirer leur voile, les musulmanes sont également de plus en plus poussées à accepter de travailler dans le domaine de la reproduction sociale, tant pour répondre à la demande croissante d’aides-soignantes et de femmes de ménage que pour réduire leur dépendance aux allocations de chômage. Pourtant, à côté de cet ensemble de phénomènes, Fiona Williams et Anna Gavanas notent également que “ce n’est pas tant le manque de dispositions publiques qui façonne la demande en matière de garde d’enfants que la nature même du soutien étatique disponible” (Williams et Gavanas, 2008 : 14 [23]). Comme nous l’avons vu, les formes de mise à disposition de liquidités ou les crédits d’impôt offerts par les États aux Pays-Bas, en France et en Italie ont été introduits afin de soutenir les ménages dans l’achat de soutien pour les soins gériatriques, le travail domestique et la garde d’enfants. L’apport d’argent liquide et les crédits d’impôt ont tous deux eu pour effet d’encourager le développement de la “marchandisation des soins” et des services domestiques, qui sont généralement recherchés sur le marché à titre privé et où les immigrées, musulmanes non occidentales, fournissent la majeure partie de l’offre (Ungerson, 2003 ; Pavolini et Ranci, 2008).
Dans la conjoncture sociale et démographique d’aujourd’hui, le rôle de l’État dans la privatisation des services à la personne (qui pousse les familles à chercher des solutions rentables sur le marché) ainsi que les taux de participation supérieurs des femmes natives au travail salarié – qui implique qu’elles soient souvent obligées de se trouver des remplaçantes “acceptables pour les deux sexes” dans le ménage – sont ainsi des facteurs importants qui peuvent nous aider à expliquer les raisons pour lesquelles les immigrées, musulmanes non occidentales, ne bénéficient pas du même traitement que leurs homologues masculins. Plutôt que des “voleuses d’emplois”, des “opposantes culturelles” et des “parasites” de l’aide sociale, ces femmes sont en fait les domestiques qui aident au maintien du bien-être des individus et des familles d’Europe occidentale. Elles sont les pourvoyeuses d’emplois et de soins : ce sont elles qui, en aidant les femmes d’Europe occidentale à annuler la question de genre, en se substituant à elles au sein du ménage, permettent à ces femmes “nationales” de devenir des travailleuses sur le marché du travail “productif”. En outre, ce sont elles qui contribuent à l’éducation des enfants et à la reproduction corporelle, à la vie émotionnelle des personnes âgées et en situation de handicap, en fournissant ainsi les biens sociaux que les États ne fournissent plus. C’est dans ce contexte que je propose de comprendre pourquoi les immigrées, musulmanes non occidentales, employées (ou encouragées à être employées) dans des emplois socialement reproductifs se voient même offrir une aide exceptionnelle, dans leurs processus de régularisation (comme en Italie), par les partis nationalistes, par ailleurs, adversaires acharnés de l’afflux de migrant·es.
Toutefois, pour comprendre pleinement le rôle du travail des femmes migrantes, au sein des sociétés européennes occidentales néolibérales contemporaines, autrement dit, afin d’expliquer comment ces connotations de travail “socialement reproductif” nous permettent de clarifier la matérialité ou la logique politico-économique de l’idéologie fémonationaliste, il est important d’analyser ce qui différencie le secteur des services à la personne des autres secteurs qui emploient principalement des migrants masculins. En d’autres termes, le secteur des services à la personne a-t-il quelque chose de particulier qui puisse expliquer tant son actuelle configuration féminisée et racisée que la soustraction des immigrées, musulmanes non occidentales du camp ennemi principalement constitué de migrants masculins ? [24]. La mise en avant de ces femmes, comme élément tolérable de la main-d’œuvre immigrée en tant que travailleuses sociales (réelles ou potentielles), est-elle simplement un phénomène contingent, ou y a-t-il quelque chose de plus stable et structurel expliquant leur ancrage dans ce secteur de l’économie récemment marchandisé ? Les immigrées musulmanes non occidentales employées dans le secteur des services à la personne constituent-elles une “armée de réserve de travailleuses” de la même manière que les immigrés dans les économies des pays d’Europe occidentale ?
Particularités des services à la personne, ou reproduction sociale : le débat
Les économistes du courant dominant définissent les services à la personne, qu’ils soient réalisés dans des ménages privés ou dans des institutions publiques, comme dépendant de l’économie des services et, par conséquent, comme à forte intensité de main-d’œuvre et peu productifs (Yeates, 2004). Comme tous les services humains donc, on dit des services à la personne qu’ils souffrent de la “loi de la fatalité des coûts croissants” de William Baumol, ce qui signifie que les salaires ne dépendent pas de la productivité et que les marges bénéficiaires sont faibles (Baumol, 1967). D’autre part, la plupart des économistes marxistes considèrent les services à la personne comme un travail reproductif – et par conséquent, non productif d’un point de vue capitaliste – attendu qu’il se rapporte au domaine de la production d’“êtres” et non de “choses” donc de “valeurs d’usage” plutôt que de “valeurs d’échange”. Mais en dépit de sa caractérisation, par des économistes de différentes tendances, en tant que forme de travail pouvant avoir une importance plus ou moins grande d’un point de vue capitaliste, les services à la personne constituent une activité dont les sociétés ne peuvent tout simplement pas se passer. En tant que travail reproductif, les services à la personne impliquent non seulement la protection et la subsistance des travailleur·euses, des personnes âgées et des nouvelles générations, mais c’est également ce type de travail qui est fondamentalement “constitutif de la reproduction sociétale” dans sa globalité [25]. C’est pourtant précisément son statut de travail socialement reproductif qui contribue en grande partie à la définition et à la perception sociale des services à la personne comme n’étant pas proprement capitaliste, à savoir, comme fondamentalement en dehors des relations de marché (Yeates, 2004). Comme le dit Encarnacion Gutiérrez-Rodriguez, le statut singulier de la reproduction sociale au sein des sociétés dominées par l’industrie “a non seulement entraîné une absence de reconnaissance sociale et de rémunération équitable, mais également le passage sous silence de son apport sociétal en tant que “reproduction élargie” de capital” (Guttiérrez-Rodríguez, 2010 : 94). Contre une telle dévaluation des services du soin à la personne, les féministes marxistes, dans les années 1970 et 1980, se sont notamment engagées dans un “débat sur le travail domestique” et ont avancé des critiques avisées des positions économiques conventionnelles, cherchant à démontrer le rôle clé de la ménagère et de la soignante pour la perpétuation des rapports sociaux capitalistes [26]. Comme l’ont soutenu Mariarosa Dalla Costa et Selma James, dans une célèbre contribution en 1972, “le travail domestique n’est pas fondamentalement un “travail féminin” ; une femme ne s’épanouit pas davantage ni ne s’épuise pas moins qu’un homme en lavant et en nettoyant. Il s’agit de services sociaux vu qu’ils servent à la reproduction de la main-d’œuvre. Et le capital, en instituant précisément sa structure familiale, a “libéré” l’homme de ces fonctions afin qu’il soit totalement “libre” pour son exploitation directe ; afin qu’il soit libre de “gagner” assez pour qu’une femme le reproduise en tant que main-d’œuvre” (Dalla Costa et James, 1975 : 43). Dans les années 1980, le groupe féministe allemand connu sous le nom de Bielefelderinnen a davantage développé la notion de travail reproductif comme essentiel à l’accumulation capitaliste (Mies et col. 1988). Il cherchait, notamment, à comparer les services à la personne dans les pays du Nord et le travail agricole de subsistance dans les pays du Sud pour désigner ces activités comme étant les sources de la poursuite de l’accumulation initiale de capital. Il analysait en outre les rapports entre le Nord et le Sud, ou du premier et du tiers-monde en matière de relations entre l’homme et la femme :
Ce ne sont pas les femmes qui ont un statut colonial, mais les colonies qui ont un statut de femmes. Autrement dit, les rapports entre le premier et le tiers-monde correspondent aux rapports entre l’homme et la femme.
(Mies et col. 1988 : 25).
Toutes ces contributions sont d’une extrême importance pour analyser le rôle des services à la personne dans les sociétés capitalistes. Elles mettent en lumière l’importance, économique et sociale, du travail socialement reproductif non rémunéré et les hypothèses essentialistes profondément genrées qui les étayent, décrivant ainsi un aspect central du rapport entre le capitalisme et le patriarcat. Néanmoins, elles sont largement centrées sur le modèle de la femme au foyer dans les systèmes fordistes du soutien de famille, autrement dit sur le modèle d’organisation sociale et du travail dans lequel les tâches reproductives sont principalement effectuées gratuitement par les femmes natives. Les femmes sont en outre généralement considérées comme une source privilégiée pour l’armée de réserve de travailleuses industrielles, en raison de l’acceptation fondamentale de l’idée que les services à la personne non rémunérés ne sont pas, au sens strict, productifs d’un point de vue capitaliste (en dépit de son importance pour la reproduction capitaliste dans son ensemble). En tant que catégorie de main-d’œuvre ne dépendant pas d’un salaire pour sa reproduction – l’hypothèse étant qu’elles pouvaient compter sur le salaire de l’homme – les femmes mariées dans les sociétés occidentales industrielles étaient automatiquement intégrées dans les rangs de ces segments de la population que pouvaient mobiliser les capitalistes, de temps en temps, selon leurs besoins (Beechey, 1977). Enfin, “l’utilisation de la “femme” comme catégorie identitaire indifférenciée, essentialiste, anhistorique et décontextualisée”, comme le soutient Gutiérrez-Rodriguez, suivant la critique de Mohanty, tend à omettre “non seulement les inégalités entre les femmes, mais également les dynamiques d’un système d’oppression interactif” (Mohanty (1984) ; Gutiérrez-Rodríguez, 2010 : 96). Que se passe-t-il dès lors lorsque nous déplaçons notre attention vers le travail socialement reproductif réalisé par des femmes migrantes/non occidentales sous une forme rémunérée ? Pouvons-nous y appliquer les mêmes catégories que celles utilisées pour analyser le travail socialement reproductif réalisé chez elles par les femmes occidentales/non migrantes sous une forme non rémunérée ? Et comment ce déplacement, dans la conjoncture actuelle, nous aide-t-il à clarifier davantage cet “état d’exception” dont jouissent les immigrées musulmanes non occidentales en tant que “sujettes échangeables” dans le paysage de travailleurs migrants musulmans autrement stigmatisés et non désirés.
L’affectivité, la fixité spatiale et la nature non-cyclique du travail socialement rémunéré
Même dans sa forme rémunérée, le secteur des services à la personne demeure peut-être le “marché du travail le plus genré”. Non seulement parce que l’essentiel de la main-d’œuvre qui y est employée est féminine, mais également parce que des constructions spécifiquement féminines de la féminité y sont solidement associées et sont donc des éléments constitutifs de la formation des compétences, de la culture du travail et de son identité (Beechey, 1988). En outre, comme le soutient Helma Lutz, les services à la personne “ne sont pas juste un autre marché du travail” (Lutz, 2008a). C’est-à-dire que ce n’est pas simplement un travail, mais une activité genrée particulière. En tant qu’activité genrée, elle est émotionnellement et moralement liée aux significations et aux interprétations de ce que nous sommes, comme femmes et hommes et de que nous souhaitons être. En d’autres termes, le travail domestique comme activité centrale de fabrication du genre contribue à la perpétuation de l’ordre social sexospécifique existant… La sous-traitance du ménage et des soins à une autre femme est largement acceptée parce qu’elle suit et perpétue la logique de l’affichage du genre conformément aux sexismes institutionnalisés (Lutz, 2008b: 48). En plus d’être historiquement et culturellement construite en tant qu’activité genrée, reposant fortement sur “l’interpellation et l’accomplissement de la ‘féminité’”, l’affectivité est également un élément fondamental, quoique non exclusif, des services à la personne, ou du travail socialement reproductif (Gutiérrez-Rodríguez, 2010 : 107). Pour saisir cet aspect, certain·es auteur·es ont proposé une distinction dans l’ensemble des tâches caractérisant les services à la personne entre “s’occuper de” (care for – NDT) – ce qui comprend les tâches plus physiques telles que la cuisine, le nettoyage et la lessive – et “se préoccuper” (care about – NDT), ce qui implique le côté relationnel de la garde d’enfants et du soin aux personnes âgées [27] (Hooyman et Gonyea, 1995). Dans la même veine, des intellectuelles féministes, impliquées dans divers champs des sciences sociales et des lettres, ont inventé de nouvelles catégories pour expliquer les composantes affectives si fermement constitutives de la reproduction sociale rémunérée : autrement dit, “travail sexuel/affectif”, “plus-value émotionnelle”, “travail maternel”, et ainsi de suite [28]. Chaque catégorie se réfère, à sa manière à l’incapacité pour l’économie traditionnelle et les systèmes quantitatifs classiques dans les domaines de l’économie, de la sociologie et des études des migrations à comprendre l’imbrication complexe des significations culturelle, idéologique et politique qui contribuent à la construction et à la préservation des services à la personne, comme modèle particulier de travail affectif et genré, même dans sa forme marchandisée. La prise de conscience du caractère extrêmement émotionnel de certaines des tâches qu’impliquent les services à la personne ne doit toutefois pas nous induire en erreur en nous faisant penser que nous faisons ici toujours forcément face à des affects “positifs”. Les émotions engagées dans le contexte des services à la personne réalisés à domicile sous une forme rémunérée peuvent avoir des significations différentes pour l’employée et l’employeur·euse. Pour la première (l’immigrée dans ce cas), des sentiments tels que l’amour pour les enfants qu’elle garde, l’affection pour la personne âgée dont elle s’occupe ou la sympathie pour l’employeur·euse correct·e qu’elle a peut-être la chance d’avoir peuvent aller de pair avec le “dégoût”, la “tristesse” et la “servilité”. Ceci nous rappelle que, comme le dit Gutiérrez-Rodriguez, “les émotions ne sont pas des énergies flottantes. Elles apparaissent dans un espace marqué par un contexte historique et géopolitique concret, portant des traces de la matérialité qu’elles transcendent par leur énergie, mais dans laquelle elles demeurent enfoncées par leur contexte d’émergence. L’expression et la transmission des affects se produisent donc dans un espace marqué par des rapports de force historiquement produits, socialement configurés et culturellement situés” (Gutiérrez-Rodríguez, 2010 : 132). D’autre part, les sentiments que l’employeur·euse peut attacher aux services à la personne peuvent être de nature totalement différente. La sous-traitance des services à la personne à une autre femme peut, tout particulièrement pour l’employeuse, vouloir par-dessus tout dire un “soulagement” des tâches qui, autrement, seraient susceptibles de lui incomber.
En tant que sujets féminisés, les deux femmes […] sont les objets de la répulsion sociale projetée sur le travail domestique. Néanmoins, l’embauche d’une autre femme pour faire le travail décharge les employeuses de l’affect négatif afin qu’elles aient la chance de se sentir heureuses entre leurs quatre murs.
(Gutiérrez-Rodríguez, 2010 : 133).
La dépendance des ménages à un travail imprégné d’émotions aussi importantes – tout particulièrement du point de vue de l’employeuse – et le fait même que ce travail est associé à des besoins familiaux que l’on ne puisse pas suspendre sont d’une grande incidence dans l’explication des raisons pour lesquelles l’État s’abstient de punir le recrutement d’immigrées clandestines dans les ménages privés, faisant même des exceptions pour leur régularisation. Cela peut aussi expliquer pourquoi, dans certains cas, les immigrées engagées comme employées de maison peuvent avoir un certain pouvoir de négociation de leurs salaires – en dépit des terribles conditions de travail qui caractérisent ce secteur. La nature intime du contexte dans lequel il est exécuté (le ménage), le caractère extrêmement émotionnel des tâches exigées (prendre soin des enfants et/ou des personnes âgées, cuisine, s’occuper de la maison, c’est-à-dire le nid d’intimité par excellence de l’employeur·euse), et donc l’importance de la confiance dans la relation sont autant d’aspects rendant difficile pour l’employeur·euse de remplacer la travailleuse une fois la relation de confiance établie. Par exemple, une recherche empirique qualitative, menée aux Pays-Bas, montre qu’il n’est pas rare que des immigrées sans papiers travaillant dans le secteur des services ménagers aient le pouvoir de négocier les conditions de leur engagement (Van Walsum, 2011 : 151-152). De la même façon, certaines des immigrées, qui ont répondu à mes questions à Rome en 2003 et en 2005, m’ont expliqué comment elles pouvaient recommander leur propre remplaçante, temporairement ou de façon permanente, sur base de la relation de confiance qu’elles avaient créée [29].
Il est important de noter que la nature affective des services à la personne est également une des difficultés principales rencontrées lorsqu’il est envisagé de les automatiser. Une recherche, menée dans plusieurs États membres européens, démontre qu’alors que de plus en plus d’argent public est investi dans la technologie d’assistance sous forme de dispositifs fournis gratuitement aux personnes âgées et dépendantes dans le but d’économiser sur les frais d’hospitalisation et du travail relatif à la santé nationale, de nombreux·ses aîné·es préfèrent néanmoins acheter un équipement onéreux à titre privé ou s’en passer totalement. Ces dernières années, diverses entreprises technologiques, parmi lesquelles des entreprises françaises, italiennes et néerlandaises (Aldebaran Robotics, ArTec Domotica, Frog AGV Systems) ont investi ou développé ce que l’on appelle des “nursebot”, à savoir une assistance robotique pour les personnes âgées et les handicapé·es. La recherche démontre cependant que les appareils robotisés ne peuvent pas se substituer aux relations interpersonnelles ni aux soins prodigués par un être humain. Bien au contraire, le déploiement de ce type de robots dans les maisons de retraite a eu des effets négatifs sur l’état psychologique des personnes dépendantes, ces appareils étant souvent perçus comme des signes d’un manque de soins [30]. Ceci est en fin de compte dû au fait que, comme l’indique Silvia Federici :
Contrairement à la production de marchandises, la reproduction des êtres humains, s’agissant de la satisfaction de besoins complexes dans lesquels sont inextricablement liés des éléments physiques et affectifs réclamant un degré élevé d’interaction humaine et un procédé exigeant en main-d’œuvre, est dans une large mesure irréductible à la mécanisation. C’est dans l’entretien des enfants et des personnes âgées, qui même dans sa composante la plus physique implique d’offrir un sentiment de sécurité, d’anticiper les peurs et les désirs, que c’est le plus évident. Aucune de ces activités n’est purement “matérielle” ou “immatérielle”, et aucune ne peut non plus être désagrégée de telle manière à rendre possible leur mécanisation ou leur remplacement par le monde virtuel de la communication en ligne.
(Federici, 2012b).
Deux autres éléments doivent également être pris en considération lorsqu’on aborde les différences entre les services à la personne (rémunérés et bénévoles) et les autres secteurs employant des immigré·es. Premièrement, la nécessité de proximité entre une productrice et un·e consommateur·trice des services domestiques et de soins, ou ce que j’appelle leur fixité spatiale, l’impossibilité de les suspendre ou leur nature non cyclique, ainsi que le fait que ces services doivent être consommés pendant ou immédiatement après leur production, rend l’interruption et “la délocalisation physique de la production loin du lieu de consommation finale (comme dans la production de marchandises) (quasiment) impossible” [31]. Deuxièmement, le fait qu’une importante part des travailleuses migrantes dans les services à la personne sont employées par des ménages privés, qui les payent soit grâce aux liquidités mises à disposition par l’État ou à leurs propres économies, signifie que nous ne sommes pas en présence d’un rapport de travail typiquement capitaliste. En principe du moins, l’employeur·euse ne tire pas de plus-value du travail excédentaire de la travailleuse pour l’investir dans un capital fixe ou pour faire du profit [32]. En soulignant cette particularité, mon objectif est de montrer que la description des rapports de travail entre employeur·euse et employée, dans le contexte des services à la personne au sein de ménages privés, selon les mêmes termes que les rapports de travail capitalistes, n’est peut-être pas toujours la meilleure qui soit, contrairement à ce qui est peut-être le cas pour d’autres secteurs (essentiellement celui de la production industrielle) ayant tendance à engager des migrants.
Somme toute, le fait que le caractère affectif du travail dans les services nécessitant une main-d’œuvre importante, comme dans le secteur des services à la personne, rende l’automatisation difficile à associer à une fixité spatiale, à une nature non cyclique et à une “relative” soustraction aux pures relations capitalistes, est une dimension importante qui contribue à expliquer tant sa différence avec la reproduction sociale non rémunérée que sa particularité par rapport aux secteurs employant principalement des migrants. Associés à tous les facteurs susmentionnés – à savoir le vieillissement de la population, la participation croissante des femmes natives à la vie active en dehors de leur ménage, ainsi que la marchandisation et la privatisation des soins comme réponses privilégiées par la plupart des États européens occidentaux confrontés à des demandes croissantes de soins de longue durée –, ces éléments, propres aux services rémunérés à la personne, peuvent nous permettre de mieux comprendre pourquoi la demande d’immigrées pour travailler dans les services à la personne est en augmentation.
Les immigrées musulmanes non-occidentales constituent-elles une armée de réserve de travailleuses ?
Une des conséquences des particularités du travail marchand dans les services à la personne illustrées ci-dessus n’est pas uniquement qu’il fut majoritairement redistribué sur le dos des immigrées, mais également qu’il s’agit de ces secteurs où la notion marxiste d’armée de réserve doit être revue. Comme je le soutiens au début de ce chapitre, la discussion sur la création d’un excédent de population active, ou armée de réserve, est strictement liée à l’analyse que fait Marx de la composition organique du capital et de la propension de l’accumulation capitaliste à encourager l’accroissement “de son capital constant aux dépens de son capital variable”, à savoir, l’augmentation de la masse et de la valeur des moyens de production en rapport à la masse et à la valeur de la main-d’œuvre vivante engagée dans le processus de production (Marx, 1976a : 623). La réduction du capital variable peut s’obtenir soit par l’automatisation, qui réduit la quantité de travailleur·euses et donc conduit à leur expulsion du processus productif, soit par la réduction de la valeur du capital variable (à savoir, les salaires), ce qui peut provoquer soit l’engagement par les capitalistes des couches de populations sans emploi ou sous-employées travaillant pour des salaires moindres, soit dans la relocalisation de la production dans des régions plus pauvres où la main-d’œuvre est moins chère et la réglementation du travail médiocre.
Néanmoins, aucune de ces conditions ne semble s’appliquer aux services rémunérés à la personne assumés par les travailleuses migrantes dans les sociétés européennes occidentales contemporaines. La résistance des services à la personne à l’automatisation, leur “fixité spatiale”, leur nature non cyclique et les conditions de travail très médiocres, couplées aux tendances sociétales et démographiques éclairées dans la section précédente, signifient que (1) seule une quantité minime de services marchandisés à la personne peuvent être démarchandisés en étant redistribués aux membres de la famille; (2) la concurrence – qu’elle soit réelle ou virtuelle – entre les travailleuses nationales et non nationales pour ces emplois n’est pas significative ; et (3) on ne peut pas remplacer les services à la personne par du capital fixe (machines) et ils ne peuvent pas être délocalisés.
Premièrement, la possibilité d’avoir recours aux membres des ménages pour que des services à la personne soient gratuits, et ainsi de les démarchandiser, en revenant au modèle de l’homme soutien de famille et de la femme au foyer typique du fordisme, est de plus en plus exclue par les importantes évolutions qui ont eu lieu dans la structure des économies européennes occidentales, tout particulièrement depuis les années 1990. Alors que les femmes étaient traditionnellement les membres de la famille responsables des tâches reproductives dans le ménage, leur participation accrue au marché du travail ces vingt dernières années a mené à d’importants changements dans les rôles des femmes et des hommes et dans les structures familiales traditionnelles, et par conséquent dans la disponibilité des femmes à assurer les services à la personne dans les mêmes conditions. Les chiffres d’Eurostat montrent une augmentation de 7,6 % dans le taux d’activité des femmes nées en Europe occidentale entre 2000 et 2012, d’une proportion de 61,8 % de femmes actives sur le marché du travail au deuxième trimestre de l’an 2000 à 69,4 % au troisième trimestre de l’année 2012. Comme on peut le voir sur le tableau 3 et comme le confirme une récente étude sur l’impact de la crise économique mondiale sur les femmes natives, ces dernières ont également été moins affectées par la crise que les hommes natifs (Karamessini et Rubery, 2013).
L’intégration croissante des femmes dans le travail rémunéré fut renforcée par les changements dans les modèles familiaux ainsi que par l’importance accrue des salaires des femmes dans les budgets des familles. Plus important, les chiffres montrent que “la réponse des femmes natives au déclin de la demande fut essentiellement de confirmer leur engagement sur le marché du travail grâce aux effets de travailleuses supplémentaires. Les femmes ne font donc pas office de tampon : ni pour protéger les hommes d’une perte d’emploi ni pour agir comme réserve de travailleuses en se retirant volontairement du marché du travail” [33](Karamessini et Rubery, 2013). Ceci témoigne d’un changement sociétal à travers les pays d’Europe occidentale – bien qu’à des vitesses différentes dans chacun des pays – ayant entraîné une augmentation de la population féminine en âge de travailler dans la main-d’œuvre active. Ce changement a également signifié moins de temps, de disponibilité et (souvent) de volonté de la part des femmes pour accomplir les tâches domestiques et de soins qui les attendaient traditionnellement chez elles.
Deuxièmement, les piètres conditions de travail, les mauvais salaires, les statuts inférieurs, les heures de travail décalées et les situations souvent irrégulières, largement répandues dans le secteur des services à la personne, rendent ce travail peu attrayant pour les femmes non migrantes. En outre, la recherche montre que les employeur·euses préfèrent souvent engager des immigrées. Elles sont non seulement perçues comme plus disponibles, pour les emplois peu rémunérés et peu qualifiés, que les travailleuses natives, mais lorsque ces dernières acceptent de travailler comme nounous à domicile, par exemple, elles sont traitées de manière négative en tant que représentantes de mauvais modèles nationaux pour les enfants en raison de leur (souvent) faible niveau d’instruction, contrairement aux immigrées qui disposent fréquemment de diplômes de haut niveau (Farris, 2008). De plus, la création de niches en fonction de la nationalité au sein des secteurs des services à la personne – par exemple, entre les emplois résidentiels et ceux qui ne le sont pas – couplée à la demande croissante de travailleuses de ces secteurs, même en temps de crise économique et d’austérité, semblent avoir créé un certain équilibre entre les travailleuses immigrées elles-mêmes, d’où il découle qu’elles ne se disputent pas les mêmes emplois. Troisièmement, comme expliqué précédemment, les tentatives d’automatisation des services à la personne, ou de remplacement des travailleuses par du capital fixe (machines), sont rendues particulièrement difficiles par les fortes dimensions affectives de ce travail, certaines tâches étant dès lors impossibles à mécaniser. La relocalisation vers des sites où la main-d’œuvre est moins chère est également impossible en raison de la nature même de ces services qui doivent être produits et consommés in situ, le plus souvent à domicile. C’est le cas non seulement parce que le domicile est à l’évidence le lieu où s’effectuent les tâches ménagères, mais également parce que les attentes et les préférences des familles et des personnes dépendantes – ainsi que celles de l’État – concernant les soins ne s’éloignent pas d’un modèle essentiellement “de soins à domicile”. La plupart des gens requérant des services de soins de longue durée reçoivent et préfèrent recevoir leurs soins à domicile (Colombo et col., 2011 ; Anderson, 2012). Par exemple, une étude Eurobaromètre, menée, en 2007, pour interroger l’opinion publique à propos de l’offre de soins à travers l’Europe, a révélé que la grande majorité des personnes interrogées exprimait leur attente et leur préférence pour des soins à domicile si elles devaient devenir dépendantes (Eurobarometer, 2007 : 95). Néanmoins, la participation accrue des femmes natives dans la force de travail, et le fait qu’elles aient été moins touchées par le chômage que les hommes natifs (autrement dit, le fait que la crise n’ait pas créé de réserve de femmes natives pour le secteur des services à la personne, du moins dans les régions plus riches de ces pays), signifie que ces attentes et ces préférences peuvent de moins en moins être satisfaites par une main-d’œuvre féminine native, de plus en plus active en dehors de chez elle, déterminée à le rester et qui n’est pas disponible (ou qui ne désire pas) travailler dans les services à la personne, même sous forme rémunérée surtout en raison des mauvaises conditions de travail très lourdes, non réglementées et stigmatisées, de ce secteur.
Ce n’est donc pas un hasard si la régression économique, entre 2007 et 2011, a particulièrement frappé durement les secteurs employant des immigrés alors que ceux employant des immigrées ont eux-mêmes pris de l’ampleur durant la crise. Comme le rapportent les Perspectives des migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en Europe, la crise s’est ressentie de manière très violente dans ces secteurs extrêmement exposés aux fluctuations de l’économie. En revanche, les secteurs non cycliques ont enregistré une importante croissance des emplois, tels que les “activités résidentielles de soins” et les “activités de ménages en tant qu’employeurs de personnel domestique”, inscrivant des milliers de nouveaux emplois pour les travailleur·euses né·es à l’étranger, la plupart pour des femmes. À la lumière de ces éléments, l’OCDE n’a pas manqué de souligner que dans la plupart des pays, les immigrées ont été moins touchées par la crise économique que les immigrés (OCDE, 2012). Par exemple, en 2012, les chiffres sur les effets de la crise économique mondiale aux Pays-Bas montrent que l’emploi dans la construction et le secteur industriel a respectivement diminué de 4 et 13 %, affectant ainsi en particulier les (jeunes) hommes nés à l’étranger, alors qu’il a augmenté de 40 % dans le secteur des soins et de l’aide sociale, considéré comme l’un des secteurs à croissance rapide dans l’économie néerlandaise pour les années à venir [34]. En France également, l’industrie et la construction sont les secteurs qui ont le plus souffert de la régression économique, entre 2008 et 2011, avec des pertes s’élevant à 44 400 emplois dans le secteur de la construction et à 267 600 dans la production industrielle et les industries extractives (Insee, 2011). D’autre part, selon le Conseil national de l’information statistique (CNIS), le nombre de personnes employées en vertu du programme CESU est passé de 770 000 en 2008 à 83 500 en 2010 (Colin, 2012 : 32). Bien qu’il n’y ait pas de statistiques détaillées sur la nationalité ou le pays de naissance de ces travailleuses, les estimations évaluent que plus d’un quart des travailleuses dans les services à la personne sont de nationalités étrangères et que 35 % sont des immigrées (Alberola et col., 2011 : 36-37). Enfin, en Italie, étant donné le rôle crucial que jouent les immigrées travaillant comme aidantes et femmes de ménage dans le système familial italien (tout particulièrement dans le nord du pays et dans les grandes villes), il est peu surprenant de découvrir que la crise économique mondiale a terriblement impacté les travailleurs immigrés, mais pas tellement les immigrées. Le secteur des services à la personne a non seulement été épargné des effets dévastateurs de la crise, mais il s’est même développé durant celle-ci, même s’il faut garder à l’esprit qu’une telle croissance a également signifié l’expansion de l’économie souterraine et une détérioration des conditions de travail dans ce secteur [35]. Comme le montrent clairement toutes les données disponibles, la crise économique mondiale a donc eu une dimension genrée spécifique, en particulier pour les travailleur·euses immigré·es. Comme noté précédemment, certain·es commentateur·trices sont allé·es jusqu’à la qualifier de “il-cession” (Karamessini et Rubery, 2013).
À la lumière de ces éléments, je soutiens que la main-d’œuvre immigrée féminine employée dans le secteur des services à la personne, en Europe occidentale, ne correspond pas à une armée de réserve décrite (et perçue) comme une menace économique pour les travailleuses natives, continuellement exposées au chômage et utilisées pour maintenir une discipline salariale, mais à une armée “régulière”. Plutôt que de concurrencer les femmes natives sur le marché des emplois peu qualifiés, les immigrées engagées comme travailleuses dans les services à la personne ont donc, par conséquent, permis à un certain nombre de femmes natives de travailler en dehors de chez elles, tout en créant des modèles professionnels totalement neufs tels que celui de la badante personnelle rémunérée qui, en Italie par exemple, n’existait pas auparavant. Plutôt que de pousser à des campagnes pour leur exclusion du marché du travail, ou purement et simplement d’Europe occidentale, les immigrées non occidentales sont soumises à des procédures exceptionnelles de régularisation et reçoivent même des offres de “sauvetage” de leurs cultures prétendument arriérées.
La proposition caractérisant les immigrées employées dans les services à la personne d’armée régulière de travailleuses semble ainsi aller à contre-courant de ce que l’on appelle le débat sur le travail domestique engagé par les féministes à la fin des années 1970 et dans les années 1980. Comme mentionné précédemment, le concept d’armée de réserve de travailleuses était utilisé dans ce contexte afin d’expliquer les biais salariaux structurels et les conditions de travail et contractuelles précaires du nombre croissant de femmes qui entraient alors sur le marché du travail comme travailleuses salariées (Beechey, 1977 ; Anthias, 1980). Comme le note Floya Anthias, “la représentation des femmes comme armée de réserve est devenue une référence ne posant pratiquement aucun problème”, tout particulièrement dans les discussions féministes marxistes (Anthias, 1980 : 50). Néanmoins, au lieu de remettre en cause l’idée qu’il y ait de fortes chances pour que les femmes, de façon générale, soient incluses dans les rangs de l’armée (latente) de réserve – une hypothèse qui devrait de toute façon être vérifiée de manière empirique dans chaque pays, à différentes époques et divers stades de développement capitaliste – je propose plutôt d’employer la notion d’armée régulière pour décrire ce qui arrive aux femmes immigrées recrutées dans la main-d’œuvre socialement reproductive marchandisée. L’intérêt porté à une catégorie spécifique de “femmes” dans le contexte des sociétés européennes occidentales néolibérales contemporaines ainsi qu’à un secteur déterminé (et extrêmement particulier) de l’économie nous permet de voir que les femmes auxquelles se réfèrent les deux concepts – armée de réserve dans les années 1970 et armée régulière dans les années 2000 – n’appartiennent pas au même universel soi-disant homogène appelé condition féminine. Elles peuplent plutôt divers mondes d’expérience profondément marqués par les différences de classe et (de plus en plus) de race. Dans la mesure où les femmes qui sont employées dans le secteur des services à la personne sont des immigrées venant principalement du Sud global et des anciens pays socialistes, le terme le plus approprié pour comprendre leurs conditions de travail n’est sans doute ni l’idée abstraite et imprécise de travail salarié en général ni le travail féminin en particulier, mais plutôt l’abstraction définie de travail socialement reproductif marchandisé effectué par la main-d’œuvre immigrée.
La main-d’œuvre immigrée de l’Europe contemporaine et des sociétés occidentales, comme je l’ai déjà affirmé, est configurée sous des formes spécifiques : il s’agit d’une “main-d’œuvre en mouvement” en raison du développement inégal amené par ce que David Harvey appelle “l’accumulation par dépossession” et d’une “main-d’œuvre jetable” ayant un statut économique ainsi que politique distinctif (Harvey, 2004). Néanmoins, dans le monde des travailleur·euses immigré·es, le travail des immigrées semble obéir à ses propres règles. Il suit les règles du genrisme et le “contrat sexuel” au sein du ménage qui établit que les femmes sont toujours les sujettes en charge de la reproduction et des soins (Pateman, 1988). Mais il suit également les règles du “contrat racial” selon lequel les minorités ethniques et les personnes de couleur sont toujours celles qui accomplissent les tâches les moins séduisantes et les moins valorisées dans une société (Mills, 2007). Le concept d’armée régulière de main-d’œuvre appliqué aux immigrées engagées dans le travail socialement reproductif marchandisé des sociétés contemporaines d’Europe occidentale vise par conséquent à contribuer à la théorie marxiste d’armée de réserve de travailleur·euses laquelle, comme je le soutiens plus haut, a toujours une énorme valeur pour comprendre la place de la main-d’œuvre immigrée dans ces sociétés. De ce fait, je considère le concept d’armée régulière de travailleur·euses comme un complément éventuel à la théorie marxiste de populations excédentaires, un complément permettant potentiellement à la théorie de prendre non seulement en compte le domaine notoirement négligé du travail socialement reproductif, mais également de comprendre ses formes variables sous le capitalisme néolibéral.
Le terme “régulière” peut toutefois être trompeur si l’on considère qu’il est synonyme de stabilité et de sécurité. Il me faut donc clarifier qu’en utilisant un tel terme, mon intention n’est pas d’affirmer que les immigrées ne pourraient pas, en principe, appartenir à une armée de réserve ou qu’elles sont à l’abri du chômage et de la perte de leurs droits sociaux et politiques. Au contraire, les immigrées du Sud global vivent souvent un processus d’incorporation et d’expulsion du travail salarié dans leur pays d’origine avant de partir vers des régions plus riches dans le Nord (Sassen, 1984 ; Eisenstein, 2010). Autrement dit, il se peut tout à fait qu’elles appartiennent à une armée de réserve de travailleur·euses, en tant qu’immigrées rurales ou comme main-d’œuvre meilleur marché alternativement engagées et licenciées par les industries de leur propre pays, selon les besoins des capitalistes. Nous pourrions en outre imaginer un futur scénario dans lequel, pour diverses raisons, les femmes natives se rendront disponibles pour le travail reproductif rémunéré, transformant ainsi théoriquement les immigrées employées dans ce secteur en travailleuses de réserve plutôt que régulières. Pareillement, mon intention n’est pas de suggérer que les immigrées employées dans le secteur des services à la personne bénéficient de conditions de travail plus réglementées, plus sûres ou simplement meilleures que leurs homologues masculins employés dans d’autres secteurs. Comme le décrivent la plupart des études sur ce segment particulier du marché du travail, les emplois dans les services à la personne sont souvent accomplis dans des contextes peu sûrs, sans règlements contractuels ni prestations sociales ou de santé et dans des conditions de travail très abusives [36]. En utilisant le terme d’“armée régulière”, je cherche à montrer comment l’utilisation par la tradition marxiste de la puissante métaphore de l’“armée”, pour décrire le groupe de travailleur·euses et de populations excédentaires dans les sociétés industrialisées, présente un pouvoir explicatif et combien elle est d’actualité. Mais je cherche également à mettre en évidence la position diamétralement opposée occupée par le segment féminin des travailleuses immigrées actives, dans ce secteur économique précis, par rapport au caractère de “réserve” de l’armée de travailleur·euses dans laquelle est principalement employé le segment masculin. Ma proposition peut, dans ce contexte, être perçue comme proche de la perspective récemment adoptée par Saskia Sassen, qui a défini les travailleuses domestiques faiblement rémunérées comme étant des “travailleuses chargées de l’entretien des infrastructures stratégiques” (Sassen, 2008 : 488). Comme le souligne Sassen, bien que la recherche sur le sujet se soit centrée sur les “piètres conditions de travail, l’exploitation et les multiples vulnérabilités de ces travailleur·euses domestiques”, ce qui importe de façon analytique, “c’est l’importance stratégique du bon fonctionnement des ménages professionnels pour les principaux secteurs mondialisés dans les villes et, en conséquence, l’importance de ce nouveau type de classe de serviteurs et de servantes” qui est principalement composée de femmes (Sassen, 2008 : 465).
En outre, en introduisant le concept d’armée régulière de travailleuses pour les immigrées employées dans le secteur des services à la personne, en Europe occidentale, je cherche également à repenser et à interroger les catégories établies héritées de débats du passé, dont l’hypothèse selon laquelle les femmes et les immigrées constituent, presque par définition, une armée de réserve de travailleuses [37]. En montrant les intersections entre les changements marquants en cours dans d’importants domaines sociétaux (tout particulièrement dans la famille et les schémas genrés qui lui sont traditionnellement associés) et les changements ayant lieu sur les marchés du travail (où les femmes, tant natives que d’origines étrangères, ont été moins touchées par la crise que les hommes), les régimes migratoires et les politiques étatiques concernant les soins (lesquelles alimentent la demande d’immigrées dans le secteur des soins), nous pouvons comprendre comment ces changements ont fini par renverser nos prévisions et comment ils peuvent nous pousser à actualiser notre boîte à outils analytique.
Notes
[1] Source : Friedrich Engels et Karl Marx, Irlande, classes ouvrières et libération nationale, Montréal/ Lausanne/Paris, M Éditeur/Page 2/Syllepse, 2021, p. 456-457. ⤴️
[2] Kofman et col. (2000) ; Boyd et Grieco (2003) ; Sinke (2006) ; Schiff et col. (2007) ; Donato et col. (2011). ⤴️
[3] Morokvasic (1984) ; Phizacklea (1983) ; Simon et Bretell (1984) ; Parreñas (2001) ; Kofman et col. (2000) ; George (2005) ; Oishi (2005). ⤴️
[4] Eurostat (2011 : figure 1.8). Voir aussi Anderson (2000) ; Parreñas (2001) ; Ehrenreich et Hochschild (2003) ; Cox (2006) ; Lutz (2008b, 2011). ⤴️
[5] Il convient de noter que l’autre secteur dans lequel les immigrées sont fortement surreprésentées est l’industrie du sexe. Voir en particulier Bernstein (2007) ; Andrijasevic (2010). ⤴️
[6] Parreñas (2001) ; Tyner (2004) ; Oishi (2005) ; Schiff et col. (2007) ; Rubin et col. (2008) ; International Labour Organization (2013). ⤴️
[7] Ce traitement différencié des hommes migrants et des femmes migrantes dans les médias européens a été mis en évidence dans plusieurs études. Par exemple, pour la France, voir Deltombe et Rigouste (2005) ; pour l’Italie, voir Bonfiglioli (2010) ; et pour les Pays-Bas, voir De Ridder (2010). ⤴️
[8] Comme l’affirme Michael Denning, il s’agit d’un concept souvent considéré comme typiquement marxiste étant donné qu’il apparaît dans le débat autour de l’excédent relatif de population du capitalisme dans le Capital. Marx adoptait simplement la rhétorique du mouvement ouvrier britannique. Les radicaux·ales, tout particulièrement les associationnistes chartistes et les fouriéristes, imaginaient les nouveaux ouvriers d’usine comme de grandes armées industrielles, et ce stéréotype fréquent a conduit le dirigeant chartiste Bronterre O’Brien à écrire sur une armée de réserve de travailleur·euses dans Northern Star en 1839. Le jeune Engels revient sur cette image dans La situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844, et Marx l’invoquait occasionnellement, faisant la distinction entre l’armée de réserve et l’armée active de la classe ouvrière. À la fin du 19e siècle, elle faisait partie de la conception de bon sens du chômage : en 1911, même le Massachusetts Bureau of Statistics of Labor pouvait conclure que, “aussi prospères que soient les conditions, il y a toujours une “armée de réserve” de chômeurs” (Denning, 2010 : 84) ⤴️
[9] Castles et Kosack (1973) ; Castells (1975) ; Phizacklea et Miles (1980) ; Moulier-Boutang et col. (1986) ; Brox (2006). ⤴️
[10] Italiques de l’autrice ⤴️
[11] Entre 1973 et 1974, la plupart des pays européens qui avaient instauré des systèmes de travailleur·euses invité·es durant la période de reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, ont répondu à la récession par des mesures empêchant l’entrée de travailleur·euses et aussi, dans certains cas, des personnes à leur charge. La République fédérale d’Allemagne a interdit l’entrée de travailleur·euses ne provenant pas de la Communauté économique européenne (CEE) en novembre 1973. En France, le gouvernement Giscard d’Estaing a annoncé une interdiction du travail migrant en juillet 1974. Aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse, le recrutement de travailleur·euses étranger·ères en provenance de pays hors CEE fut interrompu en 1974 (voir Castles, 1986). ⤴️
[12] Dans le meilleur des scénarios, à savoir lorsqu’iels résident légalement et sont légalement employé·es, le permis des travailleur·euses migrant·es à travers l’Europe occidentale est de plus en plus subordonné à la durée du contrat de travail, recréant ainsi un système de Gastarbeiter. Iels peuvent aussi être résident·es légaux·ales et employé·es illégalement dans le secteur informel ou également totalement illégaux·ales et par conséquent soumis·es à de sévères réglementations, voire même se faire expulser. ⤴️
[13] Portes et Sensenbrenner (1993) ; Zhou (1992) ; Piore (1979). ⤴️
[14] La crise pétrolière de 1973 est conventionnellement considérée comme la date après laquelle ont débuté les politiques pour mettre un terme aux flux migratoires en Europe occidentale et après laquelle plusieurs travailleur·euses migrant·es – tout particulièrement ceusses en provenance du sud de l’Europe – ont dû retourner dans leurs pays d’origine, soit en raison de la perte de leur emploi soit à cause des limitations sur les droits de résidence. ⤴️
[15] La classification internationale des types de professions de l’organisation définit la “travailleuse domestique”, l’“employée de maison” et l’“aide domestique” comme une personne employée à temps plein ou à temps partiel dans un ménage ou une résidence privée. Les travailleuses domestiquestiques peuvent être, par exemple, cuisinières, domestiques, infirmières, nounous ou aidantes pour les personnes âgées ou en situation de handicap. Comme la dimension des soins et des services fait partie intégrante des tâches des travailleuses domestiques, le terme “services à la personne” sera utilisé tout au long de ce texte pour faire référence à toutes les travailleuses employées par des ménages privés (OIT, 2013). ⤴️
[16] Par exemple, une étude de Schwenken et Heimeschoff soutient qu’en Europe, “de grossières estimations pour les seules travailleuses migrantes irrégulières évaluent leur nombre à un million” (Schwenken et Heimeschoff, 2007 : 9). Sur les travailleuses domestiques immigrées illégales, voir également Triandafyllidou (2013) ⤴️
[17] Scrinzi (2011) ; Van Walsum (2011) ; Finotelli et Arango (2011) ; Ambrosini (2012). ⤴️
[18] Selon Van Walsum, “là où auparavant, les travailleuses domestiques étaient cataloguées comme femmes au foyer qui ne gagnaient de l’argent qu’accessoirement et pouvaient se rabattre sur les revenus de leurs maris soutiens de la famille, elles sont aujourd’hui (quasi) décrites comme des travailleuses indépendantes assumant seules les risques de la maladie, des revers économiques et autres calamités” (2011 : 145). ⤴️
[19] Van Hooren (2011 : 145) ; Glendinning et Moran (2009) ; Van Walsum (2011 : 147). ⤴️
[20] Dans mes propres recherches sur les travailleuses immigrées dans les services à la personne dans la ville de Rome, j’ai découvert qu’alors que les immigrées issues d’Europe de l’Est ont davantage tendance à être engagées comme aides familiales résidentes, les immigrées d’Afrique du Nord et du Bangladesh, par exemple, ont plus tendance à travailler à temps partiel et en tant qu’employées ne logeant pas sur place (Farris, 2008). ⤴️
[21] Ceci tient tout particulièrement dans le cas des travailleuses résidentes, c’est-à-dire les travailleuses dans les services à la personne qui travaillent et vivent au domicile de leurs employeur·euses. En tant que travailleuses résidentes, elles sont en général de service vingt-quatre heures sur vingt-quatre et perçoivent des salaires moindres puisque l’employeur·euse fournit le logement et les repas. ⤴️
[22] Interview (“Maroni : ‘No sanatoria immigrati’”) , 17 mai 2008, www.repubblica.it/2008/05/ sezioni/cronaca/sicurezza-politica4/bossi-spagna/bossi-spagna.html. ⤴️
[23] Italiques de l’autrice. ⤴️
[24] Sur l’utilisation du concept de “camp ennemi”, voir chapitre 2. ⤴️
[25] Anderson (2001) ; Bakker et Gill (2003) ; Gutiérrez-Rodríguez, 2010 : 95 ; Ferguson (2016).⤴️
[26] Pour un aperçu d’une partie de ce débat, voir Vogel (2008). ⤴️
[27] Cette distinction a été largement critiquée pour sa relative rigidité, mais aussi et tout particulièrement pour le discrédit qu’elle jette sur la composante affective également mêlée aux tâches plus physiques et mécaniques. Voir Anderson (2000) ; Lutz (2008b). ⤴️
[28] Ferguson (1991) ; Hochschild (2000) ; Sandford (2011). ⤴️
[29] Ces interviews furent menées dans le cadre de projets de recherches empiriques sur les conditions de travail particulières des travailleuses domestiques à Rome et sur leur stratégie de survie. Les résultats sont publiés dans Farris (2008). ⤴️
[30] Taggart et col. (2005) ; Folbre (2006a et 2006b) ; Federici (2012a). ⤴️
[31] Prenant ici la suite de Reyneri (2009) et de Schain (2009), je définis les emplois et les secteurs cycliques et non cycliques qui sont plus ou moins exposés aux fluctuations de l’économie, en fonction des variables suivantes : le type d’industrie (par ex., la construction et les industries liées au tourisme sont plus cycliques que l’éducation et les soins de santé) ; la taille de l’entreprise et le type de société (par ex., les petites sociétés privées sont plus sensibles aux fluctuations économiques que les grosses entreprises publiques) ; et le niveau de compétence nécessaire ainsi que les conditions contractuelles (par ex., le travail manuel peu qualifié ou non qualifié et les emplois à durée déterminée sont souvent plus exposés aux cycles économiques). Voir également Yeates (2004 : 376). ⤴️
[32] D’autre part, on peut soutenir que les employeur·euses sont en mesure d’aller travailler et d’apporter un salaire plus élevé à leurs familles grâce au travail (généralement) sous-payé de la travailleuse immigrée dans les services à la personne. En outre, la situation dans laquelle ces travailleuses sont engagées par la médiation d’un·e intermédiaire (par exemple des agences de placement) introduit des éléments plus classiquement capitalistes dans la relation professionnelle, puisqu’il se peut que l’agence possède les “moyens de production” utilisés par la travailleuse domestique et en tire une plus-value. ⤴️
[33] Italiques de l’autrice.⤴️
[34] Rapport de l’UWV, Arbeidsmarktprognose 2012-2013, figure 5.2.1. ⤴️
[35] Picchi (2016) ; “La diffusione del lavoratore povero” ; Bonifazi et Marini (2011) ; Fullin (2011) ; Perocco et Cillo (2011); Reyneri (2009).⤴️
[36] Anderson (2000) ; Parreñas (2001) ; Cox (2006) ; Lutz (2008b) ; Gutiérrez-Rodríguez (2010) ; Van Walsum (2008).⤴️
[37] Beechey (1977) ; Anthias (1980) ; Castles and Kosack (1973). ⤴️
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Sommaire
- L’économie politique du fémonationalisme
- Les migrant-e-s comme armée de réserve des travailleur-euse-s
- La migration des femmes et la marchandisation du travail domestique et du soin à autrui
- Les Pays-Bas
- France
- Italie
- Particularités des services à la personne, ou reproduction sociale : le débat
- L’affectivité, la fixité spatiale et la nature non-cyclique du travail socialement rémunéré
- Les immigrées musulmanes non-occidentales constituent-elles une armée de réserve de travailleuses ?
Corpus
Voici un ensemble de textes pour vous permettre d’aller plus loin sur ce sujet
- Patriarcat et accumulation à l’échelle mondiale, Maria Mies
- Aux éditions Entremonde
- Pour un féminisme de la totalité, Collectif Période
- Aux éditions Amsterdam
- [Guide de lecture] Féminisme et théorie de la reproduction sociale, Morgane Merteuil
- Sur le revue Période
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Comprendre les rapports de domination a l’echelle internationale
Notre groupe de lecture propose un espace d’auto-formation où nous explorons collectivement les enjeux de l’anti-impérialisme et ses résonances dans les luttes contemporaines, de l’écologie à l’antiracisme. Rejoignez-nous pour des discussions enrichissantes et accessibles, ouvertes à toutes et tous, dans une dynamique d’échange et de partage des savoirs.