L’anti-impérialisme vert et la question nationale

Max Ajl

Le Green New Deal, proposition politique emblématique de la transition écologique aux Etats-Unis, est conçu dans le centre, pour le centre. Max Ajl en propose une approche anti-impérialiste, ancrée dans les luttes de libération nationale et les exigences d’une justice climatique globale. Le projet écologique porté par ce texte s’axe autour de deux exigences : l’autodétermination, et les réparations des torts écologiques subis par le Sud.

« L’anti-impérialisme vert et la question nationale » est extrait de l’ouvrage A People’s Green New Deal de Max Ajl, paru en anglais en 2021.

L’anti-impérialisme vert et la question nationale

L’idée d’un “Green New Deal” (GND) populaire part de la question nationale : le droit à l’autodétermination, pour une souveraineté politique et économique. La question nationale rassemble les problèmes politiques rencontrés par les nationalités opprimées au sein des nations, le colonialisme, l’autodétermination et la libération nationale. Cette « question » est apparue de façon historique, tout au long de l’histoire du mouvement socialiste. En particulier, elle s’est posée lorsque la IIIe Internationale, dirigée par Lénine, tentait d’élaborer une politique de principe à l’égard des nations colonisées et dépendantes. Dans ce contexte, la question nationale était une manière  de comprendre la topographie politique de l’impérialisme. Une “question nationale” centrale émerge de “la distinction entre les nations opprimées, dépendantes et sujettes, et les nations opprimantes, exploitantes et souveraines”. Le deuxième groupe de nations a procédé à “l’asservissement colonial et financier de la grande majorité de la population mondiale”[1]. Autrement dit, la question nationale s’articulait à la lutte des classes et la recherche de l’émancipation populaire. Aujourd’hui, la question nationale prend des formes diverses : luttes permanentes pour la décolonisation, et l’autodétermination en vue de la souveraineté politico-économique au sein de colonies de peuplement comme Israël et les États-Unis[2]. Plus encore, les luttes visant à freiner la fuite des valeurs Sud-Nord font également partie de la question nationale, tout comme les luttes ayant trait aux combats autour des flux de valeurs, qui sont l’essence même de la relation entre les nations opprimées et les nations opprimantes.[3]

Pour ces raisons, la question nationale se pose au Sud comme au Nord. Elle est le fondement d’un “GND populaire”. Cela peut sembler une pierre de touche étonnante pour un programme formulé au sein d’un empire colonial de peuplement [NDT : ce programme du Green New Deal est formulé aux Etats Unis]. Les États-Unis font peu de cas de la souveraineté des autres États. Mais c’est précisément là le problème. Les questions nationales des autres peuples, en particulier celles des peuples autochtones, doivent constituer la base d’un “GND populaire” sur le territoire même des États-Unis et dans les autres colonies de peuplement car la construction de sociétés écologiques nécessite le contrôle populaire des plus exclus sur leurs ressources productives nationales.

Éviter la question nationale au profit d’une sorte d’écologisme facile ou d’une réduction des questions fondamentalement politiques à la seule question de la gestion de l’environnement serait la voie de la facilité.  A cet égard, une première réponse a été de considérer que la réduction du taux auquel le noyau impérial déverse du CO2 et d’autres polluants dans le monde serait par définition un combat internationaliste, et que nous devrions donc nous concentrer sur cette tâche. Beaucoup suggèrent alors que la décroissance dans le monde riche, qui réduirait son impact matériel sur le reste de la planète, est l’approche internationaliste la plus efficace, laissant plus d’espace pour les autres.[4]

Mais la frontière est mince entre la modestie et la myopie, une sorte de syndrome de l’autruche dans un pays marqué par des modes de vie impériaux[5]. Une telle démarche peut réduire les choix politiques et les exigences concernant les voies à suivre à une simple réorganisation des mécanismes de la croissance. Un tel internationalisme peut par inadvertance réduire au silence les demandes de réparations climatiques.

Une arrogance similaire, mais plus eurocentrique, prétend qu’une politique écologique pour “la classe ouvrière” signifie une politique pour les secteurs industriels et des services du Nord (les producteurs de coton en Inde, les cultivateurs de grenades en Iran, les mineurs de phosphate en Tunisie et bien d’autres n’étant plus considérés comme faisant partie de la « classe ouvrière » mais comme des curiosités qui, d’une certaine manière, ne font pas partie du système capitaliste mondial et de ses prix, même si le système capitaliste accorde beaucoup d’attention à certains d’entre eux par le biais de sanctions). Cette approche dédaigne toute aspiration transformatrice. Dans les faits, elle efface la dette écologique, offrant une autre version de la pseudo-sociale démocratie verte dans son éloge du GND de Markey/Ocasio-Cortez.[6] 

Une troisième approche considère la justice de la chaîne d’approvisionnement et la solidarité transnationale des travailleurs pour des transitions justes « par le bas » comme la base de la convergence du développement et de l’unité dans la différence, tout en éliminant complètement le langage historique de la dette climatique et en transformant la question nationale en geste esthétique à propos de l’impérialisme et du colonialisme[7]. Une quatrième et dernière approche, provenant d’institutions comme la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement[8],  imagine « imposer idéologiquement les idées et les cadres du Nord sur les « transitions vertes » centrés sur des imaginaires techno-optimistes sur l’avenir des énergies renouvelables qui sont soit inadaptés aux réalités du Sud global, soit ne se concentrent pas sur la justice, [ou] ne rencontrent aucun consensus sérieux dans le Sud global ».[9]

 Si les partisans de la décroissance sont les plus favorables au paiement de la dette climatique et les plus ouverts au marxisme tiers-mondiste, d’autres internationalismes évitent de s’engager sérieusement dans le passé, le présent et l’avenir d’un système international hiérarchique organisé autour des États-nations. Ces autres internationalismes nient que la polarisation soit inhérente au système mondial capitaliste, qu’il soit vert ou pas. Ils rejettent la question nationale comme nécessaire à l’organisation de la réflexion sur les formes de résistance vers des horizons émancipateurs. Or les discussions portant sur les divers « GND » aux États-Unis ne concernent jamais – et ne peuvent jamais simplement concerner – ​​les seuls États-Unis, car le capitalisme américain n’a jamais concerné les seuls États-Unis. La richesse américaine s’est construite sur un processus continental d’accumulation primitive de la terre et sur des guerres incessantes qui transforment les vies perdues en valorisations boursières des entreprises américaines.[10]

Ses circuits d’accumulation dépassent les frontières et quadrillent le monde. La longue tradition de combustion de pétrole et de charbon bon marché pour construire une infrastructure immense et pratique a eu pour conséquence de priver d’autres pays de la possibilité d’opter pour la même voie d’utilisation des ressources. Cette histoire de combustion à grande échelle des ressources se traduit aujourd’hui encore par un désordre et un sous-développement, des cyclones millénaires au Mozambique aux inondations au Bangladesh et à la submersion imminente des Seychelles. Et les décisions futures concernant la quantité de lithium à utiliser, le paiement ou non de la dette climatique et la quantité d’énergie à attribuer à chaque habitant de ce territoire ont inévitablement des répercussions à l’échelle mondiale.

LA QUESTION NATIONALE : THÉORIE

Dans un monde impérialiste, les politiques environnementales ont une dimension spécifiquement nationale[11]. Parce que l’impérialisme, le transfert de la valeur du Sud vers le Nord et le développement inégal qui l’accompagnent, ont continué bien après la fin de la vague de décolonisations formelles, la question nationale n’est pas une relique historique, désuète et anachronique.

Premièrement, le colonialisme lui-même n’a pas pris fin. Il perdure “de jure” dans une pléthore d’États-colons, et ses séquelles hantent la périphérie[12]. Lorsque la décolonisation formelle et légale a cédé la place au néocolonialisme, les nations ont perdu le contrôle de leur souveraineté économique, le trésor qu’elles espéraient trouver à la fin de la libération nationale. Les États-nations, qui sont les structures politiques à travers lesquelles l’accumulation à l’échelle mondiale et le développement inégal perdurent, persistent ; et ils approfondissent et organisent l’accès inégal aux fruits de la production mondiale. Des pays comme la RDC, l’Irak, le Venezuela et le Yémen subissent des pertes au niveau de leurs forces productives, du fait de sanctions et de menaces de guerre – ou de la guerre elle-même. C’est pour ces raisons que la question nationale perdure. D’un autre côté, la nation est l’une des unités politiques et sociales au sein desquelles les gens s’organisent pour résister à l’oppression. Un grand nombre de luttes dynamiques des années 1980 à nos jours, du Venezuela à la Bolivie, ont utilisé un langage “national-populaire” pour exprimer leur programme politique et mettre la richesse nationale au service de la paysannerie, des classes ouvrières et des classes marginalisées[13]. On sous-estime peut-être que la lutte la plus populaire à travers le monde, celle des Palestiniens, est celle d’une nation opprimée pour sa terre, la libération et le droit au retour. Et il n’y a aucun espoir que les Palestiniens – ou les Yéménites – reçoivent et contrôlent les réparations de la dette climatique à moins qu’ils ne disposent de facto et de jure de leur souveraineté nationale, c’est-à-dire des structures politiques au sein desquelles il est possible de réfléchir à l’avenir.

C’est au sein et à travers la sphère nationale que les décisions sur les taux d’investissement et la redistribution des biens sociaux doivent être élaborées ; que les alliances doivent être bâties, et que l’internationalisme peut être construit. Il importe, par exemple, de savoir qui est à la tête de l’État bolivien. C’est la Bolivie, un État-nation souverain et “national-populaire” dirigé par des autochtones, qui a été le foyer des documents de Cochabamba, issus de rencontres de fin avril 2010, et qui exigeaient des paiements de grande ampleur du Nord au Sud ainsi qu’un programme climatique radical pour répondre aux besoins de la Terre-mère et de la partie la plus pauvre de l’humanité[14]. Et c’est par le biais du système étatique que les dettes écologiques sont calculées et que les demandes de remboursement de la dette sont formulées dans les forums politiques mondiaux. Se concentrer sur la question nationale, c’est souligner le droit d’un peuple à reprendre le contrôle du processus historique, à décider comment et avec qui il veut vivre, et non à ce que cette décision soit prise à leur place par une classe supérieure ou un État colonisateur plus puissant. Cela inclut les peuples autochtones, qui ne peuvent être réduits à une quelconque sorte de bénéficiaires de la restauration d’une écologie antédiluvienne mais qui sont, comme l’écrivent les chercheurs autochtones Andrew Curley et Majerle Lister, « des peuples modernes sur qui pèsent la menace de la marginalisation politique aux mains de processus coloniaux qui persistent ».[15]

Insister sur la question nationale ne signifie pas nier les questions sociales ou démocratiques : qui obtient quoi au sein des nations, qui décide de qui obtient quoi, et qui a le pouvoir de façonner l’architecture environnementale de la production et de la redistribution au sein des nations et entre elles. Une telle insistance reflète simplement la structure hiérarchique du système mondial. L’affirmation et l’exercice par les États-Unis de leur souveraineté extraterritoriale ont créé un « déficit de souveraineté » important dans de nombreux autres États, limitant leur pouvoir et leur autorité. C’est une caractéristique constante du colonialisme de peuplement, de la décolonisation pacifiée – ou d’une la décolonisation qui n’a eu lieu qu’au terme d’un long dialogue avec la force coloniale et a conduit à des abandons importants de souveraineté nationale – et du néocolonialisme, qui a réduit les ressources physiques qui permettraient aux populations pauvres de construire leur propre vie [16]. Même pendant la période heureuse des décolonisations, de 1947 à 1980, les terres agricoles, les forêts, les banques, les devises, les usines, les mines de sel et de fer, les carrières et les champs de pétrole sont restés aux mains des colonisateurs. La décolonisation n’a pas été assez réussie pour permettre aux peuples de déterminer pleinement leur propre histoire, même au sein de leurs propres États-nations.

En outre, la question nationale a deux facettes, qui impose des devoirs politiques distincts de transformation, de planification et de lutte au Nord et au Sud, y compris dans le « Quart Monde » des peuples autochtones[17]. Les droits ne sont ni des possessions ni des abstractions. Les droits sont des relations. Tout droit du Tiers ou du Quart Monde implique le respect de ce droit par le « Premier Monde » ainsi que la lutte politique pour obtenir ce respect. Autrement dit, les droits impliquent des responsabilités – les droits des Sioux à Standing Rock signifiaient que des gens de tous horizons devaient se joindre aux Sioux, aux Lakotas et aux autres autochtones pour lutter pour ces droits. Si l’on croit que les Palestiniens ont droit à la libération nationale et à l’autodétermination, alors il existe une obligation implicite pour chacun, depuis son lieu de résidence, de participer à cette lutte, y compris en identifiant les chaînes forgées par les nations du centre qui entravent les Palestiniens. Que les GND prennent la forme d’une planification locale ou d’une nouvelle architecture mondiale pour une transition juste, toutes les parties doivent assumer le fardeau de cette transformation. Ce qui implique d’évaluer dans quelle mesure le “Premier Monde” tel qu’il existe aujourd’hui – avec ​​ses gratte-ciels, ses systèmes de transport en commun, ses métropoles de marbre et de granit, et sa campagne de plus en plus préservée d’une production industrielle écologiquement ruineuse – repose sur une relation qui nie de nombreux droits aux peuples autochtones et aux peuples à la périphérie de l’ordre économique mondial, et d’essayer de racheter ce déni.

Au moins trois éléments liés à la question nationale sont au cœur d’une transition juste. Premièrement, un effort de prise en considération sérieuse des concepts de dette climatique et écologique. Deuxièmement, des mouvements en faveur de la démilitarisation et de la construction d’une économie de paix dans les centres métropolitains. Troisièmement, des luttes contre la colonisation qui sont liées aux tentatives de revigorer la souveraineté et de sauvegarder notre maison commune : le monde et l’environnement global. Ces trois éléments se recoupent dans leur promesse d’un autre monde. La démilitarisation réoriente les dépenses sociales vers des activités productives (et même créatives), affaissant les fondements matériels du déni de souveraineté et de développement des périphéries par le centre. Les projets de « Land back » [NDT : projets qui visent à la récupération de terres spoliées par les indigènes qui en ont été expulsés] font de même, puisque la terre est la principale base de la décolonisation. Par définition, une souveraineté revigorée signifie un Land back. La dette écologique est le moyen par lequel une industrialisation souveraine et appropriée, un développement humain et populaire deviennent possibles pour les pays périphériques pillés par des générations de vol colonial et néocolonial. C’est l’engrais organique qui permet à la souveraineté économique de s’épanouir.

CLIMAT ET DETTE ÉCOLOGIQUE

Le concept de dette écologique repose sur le diagnostic selon lequel la production et la consommation capitalistes ont largement dépassé les capacités spatiales mondiales pour accueillir les déchets, y compris l’espace atmosphérique pour ce sous-produit essentiel du capitalisme fossile qu’est le dioxyde de carbone. Le concept de dette climatique concerne l’appropriation, ou la confiscation (enclosure), de la capacité du monde à absorber les gaz à effet de serre, avec des implications considérables pour les perspectives de développement et les trajectoires des pauvres de la planète. Certains évoquent également ce que l’on appelle souvent la « dette d’adaptation », c’est-à-dire les ressources nécessaires aux pays pauvres pour contrôler ou répondre d’une autre manière à l’élévation du niveau des mers, à la multiplication des cyclones et à d’autres conséquences d’un capitalisme écologiquement destructeur.[18]

Le règlement de la dette climatique est une application matérielle du principe juridique international des « responsabilités communes mais différenciées », qui stipule que tous les États sont responsables de la lutte contre la destruction de l’environnement mondial, mais qu’ils ne le sont pas tous de la même manière. Les disparités économiques et autres entre les pays doivent être prises en compte lors de l’élaboration d’obligations ou de responsabilités juridiques adaptées à leurs ressources économiques et à leurs capacités institutionnelles.

L’effacement ou la mise en sourdine fréquente des appels à la dette climatique dans le discours climatique du Nord est inséparable de la montée contemporaine de la social-démocratie, avec des avatars tels que Jean-Luc Mélenchon, Jeremy Corbyn et Bernie Sanders. Les intellectuels politiques qui les accompagnent ont mis en avant un discours sur le climat qui reste largement silencieux sur la dette climatique. Puisque la social-démocratie dans sa forme classique a été une mesure préventive contre la révolution, il est logique que la dette climatique, une revendication par excellence de la classe ouvrière du tiers-monde, ait été largement absente de la plupart des manifestes pour un Green New Deal. Car même si les génuflexions à l’égard de l’internationalisment sont abondantes et que l’on trouve, dans les programes, des références au colonialisme de peuplement, au racisme mondial et à l’apartheid, ils masquent un déni de responsabilité à l’égard du colonialisme, du néocolonialisme et de l’impérialisme.

Ces nouvelles positions contrastent fortement avec les politiques climatiques antérieures de la gauche. Il y a plus de dix ans, le processus populaire de Cochabamba (NDT : Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique tenue en 2010, à l’initiative de Evo Morales, pour proposer des alternatives à la suite de l’échec du sommet de Copenhague) a été mis en place, établissant le cadre des discussions sur la dette climatique. Cette réunion a consacré un groupe de travail à la question de la dette climatique, en s’appuyant sur deux des principes fondamentaux de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques : le principe des responsabilités communes et différenciées, et le principe d’équité. Ce traité multilatéral, ouvert pour la première fois à la signature en juin 1992, reflétait une compréhension politique et scientifique de pointe à propos d’un remarquable éventail de sujets différents : le changement climatique, l’incorporation inégale dans le système mondial capitaliste, les héritages complexes et multiples du colonialisme, l’organisation de la politique mondiale basée sur les États, les droits souverains des États à développer leurs ressources et l’obligation de ces États de veiller à ce que ces droits ne soient pas exercés de manière à nuire à leurs voisins « au-delà des limites de la juridiction nationale »[19].

La convention-cadre de 1992 a déclaré que le climat devait être sauvegardé :

« [dans] l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. En conséquence, les pays développés doivent prendre la tête de la lutte contre le changement climatique et ses effets néfastes. »[20]

Les pays figurant à l’annexe I du traité de 1992 étaient des pays industrialisés membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou des « économies en transition » (c’est-à-dire en cours de transition après un socialisme d’État). Ces pays ont été classés comme ayant une responsabilité historique dans les émissions et ont dû s’engager à atteindre des objectifs spécifiques de réduction des émissions. La Bolivie et d’autres « pétroétats » engagés dans des industries « extractivistes » et cherchant à sortir des millions de personnes de la pauvreté ne sont pas considérés comme des pays de l’annexe I, pas plus que la Chine.

S’appuyant sur le traité, le groupe de travail de Cochabamba a élaboré un programme en cinq points fondé sur le respect de la dette climatique, axé non seulement sur le financement, mais aussi sur la « justice réparatrice », ou « un moyen par lequel tous les peuples – en particulier ceux qui sont principalement responsables du changement climatique et qui ont la capacité de le corriger – peuvent honorer leurs responsabilités historiques et actuelles, dans le cadre d’un effort commun pour répondre à une cause commune ». En fin de compte, l’indemnisation de la dette climatique vise à assurer notre sécurité à tous »[21]. Une mise à jour internationaliste et écosocialiste du principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses moyens », et une revendication extrêmement matérielle et ouvrière : que souhaitent, et de quoi les personnes opprimées ont besoin en premier lieu, si ce n’est d’être en sécurité dans leur vie et dans leur foyer ?

Les cinq demandes principales étaient, premièrement, la tâche herculéenne de restituer l’espace atmosphérique « occupé », c’est-à-dire de « décoloniser » l’atmosphère en réduisant et en éliminant les émissions, de répartir équitablement l’espace atmosphérique et de tenir compte des besoins doubles et potentiellement contradictoires d’« espace de développement et d’équilibre avec la Terre nourricière ». La deuxième demande était d’honorer les dettes qui reflètent les opportunités de développement perdues, puisque les voies de développement bon marché tracées par les pays riches pour construire leurs infrastructures ne peuvent pas être empruntées à nouveau par les pays pauvres. La troisième était d’honorer les dettes liées à la destruction causée par le changement climatique, y compris la levée des restrictions migratoires. La quatrième était d’honorer les « dettes d’adaptation », c’est-à-dire les coûts liés à la fourniture aux populations des ressources leur permettant de rester chez elles et de mener une vie décente dans leur propre pays. La cinquième et dernière demande consistait à rejeter tous les efforts visant à séparer la crise climatique de la crise écologique au sens large, et à honorer les dettes liées à l’adaptation et au climat en tant que billet à ordre sur la « dette écologique au sens large envers la Terre mère ». [22]

L’histoire des batailles sur la dette internationale lors des conférences sur le changement climatique est celle des batailles pour le droit des pauvres à un avenir. En Bolivie, les dirigeants radicaux d’Evo Morales et d’Álvaro Garcia Linera ont été renversés par un coup d’État américain. (Leur parti est depuis revenu au pouvoir dans une brillante démonstration d’organisation populaire). Ce coup d’État a été précédé et rendu possible par un discours sur leur mauvaise gestion écologique, un mélange de mensonges purs et simples et de quarts de vérité sur l’Amazonie en feu. En effet, à l’échelle mondiale, les programmes environnementaux de la Bolivie ne sont pas nuisibles mais au contraire remarquables. Une partie des contributions de la Bolivie à la lutte pour l’avenir de l’humanité consistait en un appel à des transferts de technologie et de ressources financières bien plus importants que ce qui était traditionnellement envisagé. Ses propositions ont été conçues pour réduire les émissions dans les pays en développement tout en réalisant leur droit au développement.[23]

Un chercheur suédois en sciences sociales, Rickard Warlenius, a pris les positions de Cochabamba comme base pour quantifier la dette climatique. Il affirme que si l’espace dans l’atmosphère avait été calculé équitablement, sur la base de la quantité de CO2 qui aurait pu être émise en toute sécurité et absorbée par les puits, le « Nord » (ou les pays de l’annexe I) n’aurait émis que 15 % de ce qu’il a réellement émis. Le « Sud », en revanche, aurait pu émettre plus de dioxyde de carbone qu’il n’en a émis jusqu’à présent, mais pas beaucoup : seulement 4,4 % de plus au total. En termes numériques, en 2008, le Nord avait émis 746,5 GtCO2 (gigatonnes de dioxyde de carbone) en trop. [24]. En 2008, à un prix du carbone de 50 dollars par tonne de CO2, la valeur de la dette carbone historique aurait été d’environ 37 325 milliards de dollars. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) estime qu’un prix du carbone compris entre 150 et 600 dollars est nécessaire pour maintenir le réchauffement de la planète en deçà de 1,5° Celsius. Ces chiffres augmenteraient considérablement la taille de la dette due au Sud – jusqu’à 111 975 milliards de dollars, au plus bas, ou jusqu’à 447 900 milliards de dollars, au plus haut. [25]

Plus concrètement, la Bolivie a demandé « que les pays développés fournissent aux pays en développement des ressources financières représentant au moins 6 % de la valeur du PNB des pays développés, pour l’adaptation, le transfert de technologies, le renforcement des capacités et l’atténuation »[26]. En 2019, le PNB des États-Unis était de 21 584 milliards de dollars, dont 6 % représentent 1 290 milliards de dollars. La même année, le PNB de l’ensemble de l’OCDE, qui comprend la majeure partie des pays de l’annexe 1, était d’environ 54 000 milliards de dollars, soit 6 % de 3 240 milliards de dollars par an.

Deux aspects de ces chiffres ahurissants sont particulièrement importants. Premièrement, ils indiquent que l’ancien tiers-monde pris collectivement, y compris la gigantesque Chine, avait les mains propres vers 2008 en ce qui concerne la crise climatique (bien que les émissions continues de la Chine depuis lors changent la donne). Il n’avait pas émis de CO2 au-delà de sa juste part de la capacité d’absorption de l’environnement. La crise climatique est donc fondamentalement l’enfant de l’impérialisme nordique, purement et simplement. Deuxièmement, 6 % du PNB par an dépasse de loin la « croissance » annuelle dans le monde industrialisé. Bien que les indicateurs numériques de la croissance soient confus et qu’ils représentent mal les augmentations de la quantité de matériel physique utilisé par unité de PNB, il est clair que des quantités considérables d’actifs, de technologies et de droits (sur le bois, l’eau, les terres agricoles, le blé, les grenades, les châles et les transistors, les choses que représente le PNB) passeraient du Nord au Sud dans le cadre d’un tel arrangement.

Les chiffres de la proposition bolivienne sont sidérants – et c’est probablement à dessein. Ils ne sont compatibles ni avec le capitalisme, ni avec un système mondial polarisé et hautement inégalitaire. Ils sont la preuve arithmétique de la nécessité d’une révolution écologique et socialiste mondiale, et d’une révolution dans les relations Nord-Sud. En effet, la dette climatique a été décrite comme une « bombe » [27]. La violence de la métaphore est appropriée car il est très difficile d’imaginer un système mondial basé sur la polarisation entre le Sud et le Nord qui perdure alors que les paiements de la dette se font massivement du Nord vers le Sud. Et comme ces chiffres ne peuvent être ni contestés ni rejetés, le Nord les a généralement ignorés ou a tenté de les étouffer par le moyen le plus efficace qui soit, un coup d’État. Si le Sud n’a pas d’États forts et souverains, mais seulement des néo-colonies, la dette climatique perd certains de ses champions et agents sociaux les plus puissants.

DÉMILITARISATION ET ÉCONOMIE DE PAIX

Pour toute réponse sérieuse à la crise climatique, un domaine clé de la transformation structurelle dans le Nord est le retrait de l’armée américaine de son rôle de force de police mondiale et la conversion concomitante des États-Unis à une économie de paix. Ce changement doit faire partie intégrante du renforcement de la souveraineté du Sud, de la poursuite de la décolonisation et d’un consensus plus large sur la nécessité de prendre au sérieux la dette climatique. Ces luttes sont imbriquées les unes dans les autres et constituent le tissu social et politique de changements systémiques profonds.

En plus du fait que l’armée américaine soit un moyen de limiter le pouvoir souverain des États du Sud, elle est une énorme source de pollution carbonée. Si l’armée américaine était un État indépendant, elle serait le 47e pollueur mondial, entre le Pérou et le Portugal[28]. Il produit des quantités incalculables de déchets dans le monde entier : métaux lourds et pollution des cours d’eau et des terres arables. Le kérosène contamine l’eau potable. Les bases militaires sont souvent des sites « Superfund », c’est-à-dire des lieux tellement pollués qu’ils nécessitent un processus de nettoyage à long terme des matières dangereuses. Le phosphore blanc et l’uranium appauvri laissés par l’armement américain à Falloujah, Raqqa et dans la bande de Gaza sont à l’origine d’un grand nombre de malformations congénitales. La Grants Mineral Belt, au Nouveau-Mexique, reste l’un des gisements d’uranium les mieux dotés au monde, fournissant la matière première nécessaire à la fabrication d’armes meurtrières. L’exploitation minière a lieu à proximité des maisons et des communautés du peuple Diné, et ceux qui ont travaillé dans l’industrie comprennent des Dinés, des Acoma, des Laguna, des Zuni et des Hispaniques, leur imposant les coûts sociaux et écologiques de la domination coloniale-capitaliste des États-Unis.[29]

Il est urgent d’éliminer l’armée américaine en tant que producteur majeur de déchets dans tous les sens du terme, et de réoutiller la main-d’œuvre qu’elle emploie et les installations industrielles qu’elle occupe pour en faire des biens socialement utiles, comme des panneaux solaires, des turbines éoliennes et des trains à grande vitesse. Cette demande est liée à l’échelle de temps du changement. Si beaucoup trop de CO2 a déjà été déversé dans l’atmosphère – et qu’il y a eu, inutile de le dire, beaucoup trop de morts aux mains de l’impérialisme et du capitalisme – alors le système de sécurité mondiale du Pentagone doit être éliminé immédiatement. Le Pentagone ne produit pas seulement des déchets physiques, mais aussi des déchets de vies humaines détruites. Ce flux de déchets est le revers de l’accumulation à l’échelle mondiale. En outre, une grande partie de la capacité industrielle américaine devrait être consacrée à la production de technologies propres pour le changement des systèmes mondiaux. Le mouvement pour la justice climatique a pour demande fondamentale la conversion du système du Pentagone et ses nœuds de fabrication tentaculaires en usines de technologies propres.

Dans ce contexte, il convient de rappeler les appels à la sécurité dans le GND « écosocialiste » de Markey/Ocasio-Cortez. En effet, ce GND est pratiquement silencieux sur l’État de sécurité nationale. De la même manière, mais aussi de manière différente, considérons Bernie Sanders, qui a recommandé de « réduire les dépenses militaires ayant pour but la dépendance mondiale au pétrole »[30]. En fait, M. Sanders a appelé plus largement à réorienter les 1 500 milliards de dollars de dépenses militaires mondiales annuelles vers une infrastructure propre pour les combustibles fossiles. Mais ce chiffre n’a pas servi de base à sa politique[31]. Pendant ce temps, la future administration Biden se complaît dans les appels à la sécurité nationale : « L’instabilité régionale pourrait rendre certaines régions plus vulnérables aux activités terroristes », prévient-elle. La réponse ? “Investir dans la résilience climatique de nos bases militaires”, qui seront nécessaires en cas de “réponse militaire”[32]. Le GND du parti vert américain a été plus clair et plus ferme, préconisant un budget du Pentagone réduit de moitié, passant du titanesque 1000 milliards de dollars actuel à la somme dérisoire de 500 milliards de dollars[33]. Le groupe indigène The Red Nation est encore plus audacieux, déclarant qu’il faut mettre fin au « capitalisme-colonialisme au niveau mondial », ce qui implique de « désinvestir la police, les prisons, l’armée et les combustibles fossiles ».[34]

Ces différences sont importantes. Elles ont à voir avec la question de savoir si le GND sera un véhicule pour la social-démocratie verte aux États-Unis, parallèlement à des formes superficielles et largement symboliques d’antiracisme et de « décolonisation », ou s’il fera plutôt partie d’un programme anti-impérialiste plus large, impliquant la décolonisation des États colonisateurs dans l’hémisphère occidental et ailleurs, parallèlement à l’opposition à l’impérialisme et au système du Pentagone.

SOUVERAINETÉ

L’Amérique latine, le monde arabe et l’Afrique subissent des interventions étrangères de la part du noyau impérialiste, qui conserve visiblement le droit de déterminer qui doit gouverner d’autres peuples, comme il l’a fait pendant des siècles. Sous le colonialisme, les peuples ont été privés de leur droit à l’histoire – leur droit de contrôler leur processus historique et leur vie sociale et économique, y compris la gestion des terres, des mines et du commerce de leurs territoires[35]. La conséquence de cette privation d’histoire au XIXe et au début du XXe siècle a souvent été des holocaustes victoriens tardifs, des famines coloniales massives et des drains de richesses[36]. Les populations étaient surexploitées : elles recevaient des salaires inférieurs à ce qui était nécessaire pour leur survie quotidienne et leur épanouissement[37]. La lutte anticoloniale, selon les mots du remarquable théoricien et leader anticolonial Amilcar Cabral, représentait la « libération nationale d’un peuple », la « reconquête de la personnalité historique de ce peuple. C’est leur retour à l’histoire par la destruction de la domination impérialiste à laquelle ils étaient soumis »[38]. Une telle domination ne s’est pas arrêtée avec l’abolition formelle de la domination coloniale.

Même aux yeux de ceux qui ont mené les luttes les plus brillantes pour la libération nationale, la décolonisation formelle n’était qu’une première étape. Briser les chaînes coloniales directes a permis de transformer l’appareil politique. Mais cela laissait souvent l’appareil économique sous le contrôle de jure de l’ancienne puissance coloniale[39]. Dans tout le Sud, beaucoup comprenaient que le développement indépendant – dans la région arabe, al-tanmiya al-mustaqila – était la suite logique de la rupture avec l’appareil colonial[40]. Les luttes sur les contours et la forme du développement ont pris la place des appels à la libération.[41]

La contre-révolution mondiale s’est rapidement déployée depuis le noyau impérial vers le Tiers-Monde et les bastions du socialisme réellement existant. Elle a dissipé les rêves de développement, dont beaucoup imaginaient, comme le faisaient les projets de Bandung, une troisième voie non alignée pour le Tiers-Monde, un développement national-capitaliste à l’intérieur, contre et au-delà du système-monde[42]. En effet, guerres, invasions, flux de capitaux, financiarisation et coups d’État ont réduit ces espoirs en cendres. Ou bien la contre-insurrection mondiale menée par les États-Unis a déformé même les projets nationalistes-communistes les plus solides, incitant certains à adopter des « réformes de marché » et un « socialisme de marché », ou provoquant un Thermidor complet dans d’autres[43]. Ces luttes de libération nationale et ces socialistes non alignés étaient, pour la plupart, beaucoup trop radicaux pour les impérialistes et pas assez radicaux pour résister à la tempête impérialiste (l’étoile polaire de Cuba, l’État le plus avancé écologiquement sur la planète, a été exceptionnelle par sa résilience).[44] 

Lentement, les impérialistes, à travers les réformes néolibérales ou la violence par la guerre, les sanctions, les sièges et les coups d’État, ont défait ces gouvernements[45]. Ils ont rejeté leur droit de définir leurs trajectoires politiques et économiques, de choisir leurs alliances, de peser sur le colonialisme ailleurs dans le monde, d’effectuer des réformes redistributives, de reprendre les terres volées par les colons. À l’aube des années 1990, les droits de protéger et d’intervenir, les responsabilités de protéger et le reste du discours impérialiste étaient devenus le bavardage dominant d’une nouvelle « mission civilisatrice »[46]. Au début et à la fin des années 2010, les accusations de mauvaise gestion écologique et d’extractivisme ont de plus en plus adouci l’opinion publique occidentale pour une diplomatie de canonnières et des coups d’État du XXIe siècle[47].

Un élément majeur du consensus impérialiste émergent est l’organisation politique de l’extraction de la nature : accumulation verte, marchandisation des services environnementaux, plantations de monoculture et biocarburants[48]. Cela se produit en démantelant les États-nations et en reconfigurant leur mécanique interne pour les transformer en tapis roulants pour les intérêts capitalistes du Nord. Cela réduit « la possibilité pour un État de développement écologique de concevoir une transition juste vers des économies à faible carbone. » [49] À l’aube de la troisième décennie du deuxième millénaire, le droit à l’autodétermination ou à la souveraineté du tiers-monde n’est pas reconnu par de larges pans de l’opinion publique occidentale. Bien sûr, personne ne le dit. De tels droits sont formellement acceptés. Mais l’idée qu’il faut empêcher les États-Unis et l’Union européenne de restreindre ces droits en faisant en sorte que les peuples occidentaux assument la charge de la transformation en empêchant activement leurs États d’exercer une coercition unilatérale n’est guère présente dans la politique occidentale.

La lutte contre ces institutions et ces classes nécessite des luttes Sud-Nord complémentaires et entrecroisées afin d’ouvrir un espace politique et d’empêcher les représailles contre les États du Sud qui nationalisent leur outil de production, instaurent des salaires humains, élargissent le champ du contrôle national sur les forces productives et veillent à ce que les classes populaires au sein de la nation soient celles qui exercent ce contrôle par le biais de leur pouvoir social accru. La souveraineté doit être renforcée parce que les États sont des véhicules nécessaires pour les intérêts populaires à notre moment historique actuel. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne le climat, pour lequel les conventions juridiques placent l’État au centre des préoccupations. Les pays ne peuvent exiger, et encore moins recevoir, des réparations climatiques s’ils n’agissent pas librement et collectivement sur la scène mondiale pour les obtenir. Pour le Sud, cela signifie un environnementalisme national-populaire des pauvres et un éco-socialisme. Pour le Nord, cela signifie reconnaître et lutter contre la violation par l’État de l’autodétermination du Sud. Il n’est pas utile de discuter du paiement de la dette sans respecter la souveraineté des pays qui en sont redevables. Sinon, à moins que leurs dirigeants ne soient suffisamment blindés, ils seront tout simplement décapités.[50]

COLONIALISME DE PEUPLEMENT

La souveraineté est liée à une autre question nationale : la colonisation et la décolonisation au sein du premier monde et la rupture de l’ordre social dans les colonies du tiers monde. Cela concerne la terre et l’environnement, les deux étant très étroitement liés, puisque l’aliénation des terres par le colonialisme de peuplement a eu un impact très direct sur l’environnement. Elle a souvent signifié l’effondrement catastrophique et délibéré de mondes entiers [51]. En tant que processus politique, Kyle Powys Whyte affirme que « le colonialisme de peuplement peut être interprété comme une forme d’injustice environnementale qui interfère à tort avec et efface les contextes socio-écologiques nécessaires pour que les populations indigènes fassent l’expérience du monde comme un lieu imprégné de responsabilités envers les humains, les nonhumains et les écosystèmes »[52]. La lutte anticoloniale pour le contrôle de la terre est donc une voie vers la restauration et la renaissance de l’environnement à l’échelle mondiale. Dans d’autres États colonisateurs ou dans des États colonisateurs politiquement décolonisés, les revendications nationales concernent avant tout la terre. Au Zimbabwe, par exemple, la réforme agraire la plus radicale de l’après-guerre froide s’est produite, suscitant une campagne « froide » de diabolisation, d’isolement et, éventuellement, de retour en arrière.[53]

En Afrique du Sud, la réforme agraire est à l’ordre du jour et constitue une demande politique dynamique dans les villes, les bidonvilles et les campagnes[54]. Dans les colonies de peuplement d’Amérique du Nord, les luttes indigènes à Standing Rock et à travers Idle No More ont été des catalyseurs pour une prise de conscience beaucoup plus large parmi les radicaux non indigènes de la question nationale qui couvait et bouillonnait[55]. De manière plus générale, les indigènes considèrent que les droits d’accès et d’utilisation de l’environnement sont étroitement liés aux droits à la terre et au Land Back. La déclaration d’Anchorage, qui a rassemblé des représentants autochtones d’Amérique du Nord, de l’Arctique, d’Asie, du Pacifique, d’Amérique latine, d’Afrique et des Caraïbes, a appelé les États à « reconnaître et mettre en œuvre les droits humains fondamentaux et le statut des peuples autochtones, y compris les droits collectifs à la propriété, à l’utilisation, à l’accès, à l’occupation et au titre traditionnels des terres, de l’air, des forêts, des eaux, des océans, de la banquise et des sites sacrés. »[56] La déclaration d’Anchorage appelle à la restitution : « rendre et restaurer les terres, les territoires, les eaux » et « les sites sacrés qui ont été enlevés aux peuples autochtones »[57]. Demander à un État de faire quelque chose exige que la décolonisation soit une bannière pour l’action, y compris la lutte des populations vivant dans des États coloniaux pour exiger de leurs gouvernements qu’ils restituent les droits fonciers et les droits issus de traités. Et puisque la terre est la relation qui sous-tend la formation des États coloniaux, une relation créée par l’accumulation primitive coloniale, la restitution implique un changement révolutionnaire dans les structures mondiales de la propriété. De même, le Forum international des peuples autochtones sur le changement climatique associe ces appels à sa critique de la REDD et d’autres projets de compensation des émissions de carbone et de mécanisme de développement propre, notant que « les droits à la terre et aux ressources » des « peuples autochtones doivent être respectés avant toute considération de la REDD ou de la compensation des émissions de carbone de la REDD+. »[58]

Cela signifie qu’ils reconnaissent le besoin des peuples autochtones de déterminer leurs propres chemins politiques pour structurer leurs socio-écologies internes.

De manière similaire, The Red Nation exige : « Que les droits issus des traités et les droits des autochtones soient appliqués et respectés à la fois sur et hors des réserves et des terres fédérales sous tutelle. Toute l’Amérique du Nord, l’Hémisphère occidental et le Pacifique sont des terres autochtones. Nos droits ne commencent ni ne s’arrêtent aux frontières impériales imposées, que nous n’avons ni créées ni approuvées. » [59]

De plus, The Red Nation établit explicitement des liens entre politique et gestion environnementale. Ils soulignent que l’autodétermination nationale est fondamentale et préalable pour agir de manière éthique en tant que gardiens de la nature : « Nous devons d’abord être en mesure de mener des vies dignes en tant que peuples autochtones, libres d’accomplir nos objectifs en tant que gardiens de la vie, si nous voulons protéger et respecter nos parents non humains – la terre, l’eau, l’air, les plantes et les animaux. » [60]

DÉCOLONISATION ET SAUVEGARDE DE LA NATURE

Dans une forme peu remarquée de justice poétique historique, la biodiversité prospère le plus dans les terres détenues par les peuples autochtones. Plutôt que de penser que nous devrions protéger les espèces en les entourant de murs politiques ou juridiques, ou en les plaçant dans des réserves accessibles uniquement aux fortunés, la nature non humaine peut être vécue parmi et avec les humains. 

Les terres autochtones dans le monde entier ont une biodiversité égale ou supérieure à celle des « zones protégées »[61]. Comme le souligne l’écologiste Victor Toledo, douze pays – le Brésil, l’Indonésie, la Colombie, l’Australie, le Mexique, Madagascar, le Pérou, la Chine, les Philippines, l’Inde, l’Équateur et le Venezuela – ont le plus grand nombre d’espèces et d’espèces endémiques, y compris les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens, les poissons d’eau douce, les papillons, les cicindèles et les plantes à fleurs. Parmi ces douze pays, neuf figurent sur la liste des 25 nations ayant le plus grand nombre de langues endémiques. Parmi les 233 biogéographies marines, d’eau douce et terrestres contenant la plus grande diversité d’habitats et d’espèces, les peuples autochtones vivent dans 136 d’entre elles. La moitié des 3 000 groupes autochtones du monde vivent dans ces écorégions.[62]

Des recherches plus récentes sur le Canada, le Brésil et l’Australie – trois pays qui ont historiquement ou continuent de pratiquer le génocide des autochtones – montrent que la biodiversité, qu’il s’agisse des grizzlis, des kangourous, des grenouilles ou des oiseaux chanteurs, est la plus élevée et la plus riche dans les terres gérées par les autochtones.[63]

Protéger et respecter les droits fonciers issus des traités – Land Back – est le chemin le plus rapide pour préserver l’avenir. Ce n’est pas en raison d’une capacité primordiale et intemporelle des peuples autochtones à vivre en harmonie avec la nature. C’est parce que les peuples autochtones sont souvent engagés dans une production primaire au sens large. Ils ont des cosmologies fondées sur une relation humaine et respectueuse avec la terre. Et ils pratiquent des formes de production, allant de la chasse à l’élevage en passant par l’horticulture, basées sur des connaissances ancestrales sur la manière de vivre dans, sur et avec la terre, en accompagnant et travaillant avec les cycles écologiques au lieu de les transformer chimiquement avec des manipulations génétiques et des traitements chimiques.[64]

Cela ne signifie pas que la production primaire devrait être le destin éternel des peuples autochtones. Comme pour tout autre peuple sur Terre, ils ont droit à une industrialisation souveraine. Cela signifie que la gestion des terres par les autochtones est supérieure à celle des colons. La défense des droits issus des traités autochtones et la restauration ou restitution des terres créent un monde plus sûr pour toute l’humanité[65]. (Dans l’ouest du Canada, par exemple, les membres des communautés West Moberly et Saulteau travaillent à la restauration du caribou, une leçon sur les mérites de la gestion autochtone des paysages et de la conservation de la biodiversité[66].)

Dans une veine poétique, j’écris ces mots alors que des incendies apocalyptiques ont teint les cieux de la côte ouest des États-Unis d’un orange brumeux. Les techniques autochtones de gestion des terres, y compris les brûlages contrôlés fondés sur une méthode holistique de vie avec la nature plutôt que de la dominer ou de la contrôler, utilisaient autrefois le feu pour maintenir « les matériaux de vannerie, les plantes médicinales, les chênes à glands et les terrains de chasse », explique Elizabeth Azzuz, membre de la tribu Yurok. Avant l’invasion coloniale, des brûlages fréquents et à grande échelle consommaient le combustible, empêchant ainsi la propagation rapide des incendies accidentels, qui n’avaient plus de quoi s’alimenter. L’invasion coloniale capitaliste a interdit les brûlages et construit des plantations de bois en monoculture à la place d’une mosaïque de prairies et d’agroforesterie. Dans le bassin de la Klamath, au nord-ouest de la Californie, les membres des tribus Karuk et Yurok continuent d’effectuer des brûlages contrôlés, conservant leur savoir en matière de science du feu et transmettant ces connaissances de génération en génération. Jackie Fielder, candidate au Sénat de Californie et socialiste autochtone, a récemment salué les efforts des Karuk. Un nouveau régime révolutionnaire de tenure foncière, une décolonisation et des changements rapides dans les pratiques de gestion des terres, s’appuyant sur les connaissances techniques autochtones au lieu de les rejeter, pourraient éviter la prochaine conflagration.[67]

Land Back n’est ni une reddition ni un sacrifice, mais le changement qui rend le monde suffisamment grand pour nous tous.

Notes

[1]  Vladimir I. Lenin, Preliminary Draft Theses on the National and Colonial Questions,Collected Works 31 (1920): 144151. ⤴️

[2] Sam Moyo, Praveen Jha, and Paris Yeros, The Classical Agrarian Question: Myth, Reality and Relevance Today,Agrarian South: Journal of Political Economy 2, no. 1 (2013): 93119; Amílcar Cabral, Unity and Struggle: Speeches and Writings of Amílcar Cabral (New York: Monthly Review Press, 1979). ⤴️

[3] Enrique D. Dussel, Hacia un Marx desconocido: un comentario de los manuscritos del 61–63 (México: Siglo XXI, 1988), 312–361. ⤴️

[4] Corinna Dengler and Lisa Marie Seebacher, “What About the Global South? Towards a Feminist Decolonial Degrowth Approach,” Ecological Economics 157 (2019): 246–252, https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2018.11.019. ⤴️

[5] Ulrich Brand and Markus Wissen, “Crisis and Continuity of Capitalist Society–Nature Relationships: The Imperial Mode of Living and the Limits to Environmental Governance,” Review of International Political Economy 20, no. 4 (2013): 687–711. ⤴️

[6] M. T. Huber, “Ecological Politics for the Working Class,” Catalyst: A Journal of Theory and Strategy 3, no. 1 (2019). ⤴️

[7] Collective, Just Transition (Amsterdam: Transnational Institute, February 2020). ⤴️

[8] UNCTAD, Financing a Global Green New Deal, Trade and Development Report (Geneva: United Nations, 2019). ⤴️

[9] Keston Perry, “Financing a Global Green New Deal: Between Techno-Optimist Renewable Energy Futures and Taming Financialization for a New ‘Civilizing’ Multilateralism,” Development and Change (forthcoming). ⤴️

[10] Glen Sean Coulthard, Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition (Minneapolis: University of Minnesota Press, 2014); Ali Kadri, Imperialism with Reference to Syria (Springer, 2019). ⤴️

[11] Archana Prasad, Ecological Crisis, Global Capital and the Reinvention of Nature,in Rethinking the Social Sciences with Sam Moyo, ed. Praveen Jha, Paris Yeros, and Walter Chambati (New Delhi: Tulika Books, 2020), 180197. ⤴️

[12] Samir Amin, Accumulation on a World Scale: A Critique of the Theory of Underdevelopment (New York: Monthly Review Press, 1974). ⤴️

[13] Chris Gilbert, “To Recover Strategic Thought and Political Practice,” MR Online, September 29, 2015, https://mronline.org/2015/09/29/gilbert290915-html/; Sam Moyo and Paris Yeros, “The Fall and Rise of the National Question,” in Reclaiming the Nation: The Return of the National Question in Africa, Asia and Latin America, ed. Sam Moyo and Paris Yeros (London: Pluto Press, 2011), 3–28, https://doi.org/10.2307/j.ctt183h0tp.4; Álvaro García Linera, “El Evismo: Lo Nacional-Popular En Acción,” Osal 7, no. 19 (2006). ⤴️

[14] “People’s Agreement of Cochabamba”; “Rights of Mother Earth.” ⤴️

[15] Andrew Curley and Majerle Lister, “Already Existing Dystopias: Tribal Sovereignty, Extraction, and Decolonizing the Anthropocene,” in Handbook on the Changing Geographies of the State, n.d., 251. ⤴️

[16] Sit Tsui et al., “The Development Trap of Financial Capitalism: China’s Peasant Path Compared,” Agrarian South: Journal of Political Economy 2, no. 3 (2013): 247–268. ⤴️

[17] George Manuel, The Fourth World: An Indian Reality (Minneapolis: University of Minnesota Press, 1974). ⤴️

[18] Matthew Stilwell, Climate Debt – A Primer (Third World Network, 2009); Republic of Bolivia, “Commitments for Annex I Parties under Paragraph 1(b)(i) of the Bali Action Plan: Evaluating Developed Countries’ Historical Climate Debt to Developing Countries. Submission by the Republic of Bolivia to the AWG-LCA,” n.d., https://unfccc.int/files/kyoto_protocol/application/pdf/bolivia250409.pdf. ⤴️

[19] United Nations Framework Convention on Climate Change Secretariat, United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC, 1992). ⤴️

[20] Secretariat. ⤴️

[21] Final Conclusions Working Group 8: Climate Debt,World People’s Conference on Climate Change and the Rights of Mother Earth (blog), April 30, 2010, https://pwccc.wordpress.com/2010/04/30/final-conclusions-workinggroup-n%c2%ba-8-climate-debt/. ⤴️

[22] “Final Conclusions Working Group 8.” ⤴️

[23] Republic of Bolivia, “Commitments for Annex I Parties under Paragraph 1(b)(i) of the Bali Action Plan: Evaluating Developed Countries’ Historical Climate Debt to Developing Countries. Submission by the Republic of Bolivia to the AWG-LCA,” n.d., https://unfccc.int/files/kyoto_protocol/application/pdf/bolivia250409.pdf. ⤴️

[24] Rikard Warlenius, “Calculating Climate Debt. A Proposal,” 2012, 19–21, www.academia.edu/9167899/Calculating_Climate_Debt_A_Proposal. ⤴️

[25] IPCC, “Chapter 2 – Global Warming of 1.5°C,” 80–81. ⤴️

[26] “Submission by the Plurinational State of Bolivia,” World People’s Conference on Climate Change and the Rights of Mother Earth (blog), June 1, 2010, https://pwccc.wordpress.com/2010/06/01/submission-by-the-pluri-nationalstate-of-bolivia-2/. ⤴️

[27] Rikard Warlenius, “Decolonizing the Atmosphere: The Climate Justice Movement on Climate Debt,” The Journal of Environment & Development 27, no. 2 (2018). ⤴️

[28] Niall McCarthy, “Report: The U.S. Military Emits More CO2 Than Many Industrialized Nations [Infographic],” Forbes, June 13, 2019, https://www.forbes.com/sites/niallmccarthy/2019/06/13/report-the-u-s-military-emits-more-co2-than-many-industrialized-nations-infographic/. ⤴️

[29] Curley and Lister, “Already Existing Dystopias: Tribal Sovereignty, Extraction, and Decolonizing the Anthropocene,” 256. ⤴️

[30] Cited in “Bernie Sanders’ Climate Plan: Excellent On Electrification, But Concerningly Authoritarian & Populist – #Election2020,” CleanTechnica, September 28, 2019, https://cleantechnica.com/2019/09/28/bernie-sanders-climate-plan-excellent-on-electrification-but-concerningly-authoritarian-populist-election2020/. ⤴️

[31] Max Ajl, Report Card on Bernie SandersGreen New Deal,Uneven Earth (blog), August 27, 2019, http://unevenearth.org/2019/08/report-cardon-bernie-sanders-green-new-deal/. ⤴️

[32] Plan for Climate Change and Environmental Justice | Joe Biden,Joe Biden for President: Official Campaign Website, accessed November 16, 2020, https://joebiden.com/climate-plan/. ⤴️

[33] Green Party of the United States, “The Green New Deal,” Green Party of the United States, January 21, 2019, https://gpus.org/organizing-tools/the-green-new-deal/. ⤴️

[34] The Red Nation, “The Red Deal, Part Three: Heal Our Planet,” April 27, 2020, 9, 12, https://therednation.org/the-red-nation-launches-part-three-heal-our-planet-of-the-red-deal/. ⤴️

[35] Cabral, Unity and Struggle. ⤴️

[36] Utsa Patnaik, “Revisiting the ‘Drain’, or Transfers from India to Britain in the Context of Global Diffusion of Capitalism,” in Agrarian and Other Histories: Essays for Binay Bhushan Chaudhuri, ed. Shubhra Chakrabarti and Utsa Patnaik (New Delhi: Tulika Books, 2017), 277–318; Utsa Patnaik, “Profit Inflation, Keynes and the Holocaust in Bengal, 1943–44,” Economic & Political Weekly 53, no. 42 (2018): 33; Alec Gordon, “A Last Word: Amendments and Corrections to Indonesia’s Colonial Surplus 1880–1939,” Journal of Contemporary Asia 48, no. 3 (May 27, 2018): 508–518, https://doi.org/10.1080/00472336.2018.1433865; Mike Davis, Late Victorian Holocausts: El Niño Famines and the Making of the Third World (London: Verso Books, 2002). ⤴️

[37] Ruy Mauro Marini, Subdesarrollo y Revolución(Mexico City: Siglo Veintiuno Editores, 1969). ⤴️

[38] Cabral, Unity and Struggle, 130. ⤴️

[39] Max Ajl, “Farmers, Fellaga, and Frenchmen” (PhD diss., Cornell University, 2019); Sam Moyo, The Land Question in Zimbabwe (Harare: Sapes Books, 1995); Sam Moyo, “Three Decades of Agrarian Reform in Zimbabwe,” Journal of Peasant Studies 38, no. 3 (2011): 493–531. ⤴️

[40] Max Ajl, “The Arab Nation, The Chinese Model, and Theories of Self-Reliant Development,” in Non-Nationalist Forms of Nation-Based Radicalism: Nation beyond the State and Developmentalism, ed. Ilker Corut and Joost Jongerden (London: Routledge, 2021); Ismail-Sabri Abdallah, “Al-tanmīyya al-mustaqila: muh.āwala litah.dīd mafhūm mujahal [Independent Development: An Attempt to Define an Unknown Concept],” in Al-tanmīyya al-mustaqila fī al-waṭan al-‘arabī [Independent Development in the Arab Nation], ed. Nader Fergany (Beirut: Center for Arab Unity Studies, 1987), 25–56. ⤴️

[41] Frantz Fanon, The Wretched of the Earth (New York: Grove Press, 2007). ⤴️

[42] Max Ajl, “Delinking’s Ecological Turn: The Hidden Legacy of Samir Amin,” ed. Ushehwedu Kufakurinani, Ingrid Harvold Kvangraven, and Maria Dyveke Styve, Review of African Political Economy, no. Samir Amin and Beyond: Development, Dependence and Delinking in the Contemporary World (2021); Samir Amin, Delinking: Towards a Polycentric World (London: Zed Books, 1990). ⤴️

[43] Max Ajl, “The Political Economy of Thermidor in Syria: National and International Dimensions,” in Syria: From National Independence to Proxy War (Springer, 2019), 209–245; Linda Matar, The Political Economy of Investment in Syria (London: Palgrave Macmillan UK, 2016); Matteo Capasso, “The War and the Economy: The Gradual Destruction of Libya,” Review of African Political Economy 47, no. 166 (October 1, 2020): 545–567, https://doi.org/10.1080/03056244.2020.1801405. ⤴️

[44] Helen Yaffe, We Are Cuba!: How a Revolutionary People Have Survived in a Post-Soviet World, illustrated edition (New Haven: Yale University Press, 2020). ⤴️

[45] Peter Gowan, The Global Gamble: Washington’s Faustian Bid for World Dominance (London: Verso, 1999). ⤴️

[46] Diana Johnstone, Fools’ Crusade: Yugoslavia, NATO, and Western Delusions, 1st edition (New York: Monthly Review Press, 2002); Edward S. Herman, David Peterson, and Noam Chomsky, The Politics of Genocide (New York: Monthly Review Press, 2010). ⤴️

[47] “Federico Fuentes on Twitter”; Federico Fuentes, “Bolivia: NGOs Wrong on Morales and Amazon,” Green Left, September 6, 2016, https://www.greenleft.org.au/content/bolivia-ngos-wrong-morales-and-amazon. ⤴️

[48] Archana Prasad, “Ecological Crisis, Global Capital and the Reinvention of Nature,” in Rethinking the Social Sciences with Sam Moyo, ed. Praveen Jha, Paris Yeros, and Walter Chambati (New Delhi: Tulika Books, 2020), 180–197. ⤴️

[49] Daniela Gabor, “The Wall Street Consensus,” Development and Change (2020), preprint. ⤴️

[50] Batul Suleiman, “al-wahidat al-sha’biyya al-muslaha… waraqa al-yasar al-rabiha fi Amrika al-Latiniyya,” Al-Akhbar, February 8, 2020, https://al-akhbar.com/World/284364. ⤴️

[51] William Cronon, Changes in the Land: Indians, Colonists, and the Ecology of New England (New York: Macmillan, 2011); Carolyn Merchant, Ecological Revolutions: Nature, Gender, and Science in New England, First Edition (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1989). ⤴️

[52] Kyle Whyte, “Indigenous Experience, Environmental Justice and Settler Colonialism,” SSRN Scholarly Paper (Social Science Research Network, April 25, 2016), https://doi.org/10.2139/ssrn.2770058. ⤴️

[53] Freedom Mazwi and George T. Mudimu, “Why Are Zimbabwe’s Land Reforms Being Reversed?,” Economic and Political Weekly 54 (August 13, 2019); Sam Moyo and Paris Yeros, “Intervention: The Zimbabwe Question and the Two Lefts,” Historical Materialism 15 (August 31, 2007): 171–204, https://doi.org/10.1163/156920607X225924. ⤴️

[54] Ricardo Jacobs, “An Urban Proletariat with Peasant Characteristics: Land Occupations and Livestock Raising in South Africa,” The Journal of Peasant Studies 45, no. 5–6 (2018): 884–903. ⤴️

[55] Nick Estes, Our History Is the Future: Standing Rock Versus the Dakota Access Pipeline, and the Long Tradition of Indigenous Resistance (London: Verso Books, 2019); Roxanne Dunbar-Ortiz, An Indigenous Peoples’ History of the United States (Boston: Beacon Press, 2014). ⤴️

[56] Anchorage Declaration, “Indigenous Peoples’ Global Summit on Climate Change, Anchorage Alaska, April 24th 2009,” www.indigenousportal.com/climate-change/the-anchorage-declaration.html. ⤴️

[57] Declaration. ⤴️

[58] International Indigenous Peoples Forum on Climate Change, “Policy Proposals on Climate Change,” September 27, 2009, www.forestpeoples.org/sites/default/files/publication/2010/08/iipfccpolicysept09eng.pdf. ⤴️

[59] The Red Nation, “The Red Deal, Part Three: Heal Our Planet,” April 27, 2020, https://therednation.org/the-red-nation-launches-part-three-heal-our-planet-of-the-red-deal/. ⤴️

[60] The Red Nation. ⤴️

[61] Richard Schuster et al., “Vertebrate Biodiversity on Indigenous-Managed Lands in Australia, Brazil, and Canada Equals That in Protected Areas,” Environmental Science & Policy 101 (November 1, 2019): 1–6, https://doi.org/10.1016/j.envsci.2019.07.002. ⤴️

[62] Víctor Toledo, “Indigenous Peoples and Biodiversity,” Encyclopedia of Biodiversity 3 (January 1, 1999), https://doi.org/10.1016/B978-0-12-384719-5.00299-9. ⤴️

[63] Schuster et al., “Vertebrate Biodiversity on Indigenous-Managed Lands in Australia, Brazil, and Canada Equals That in Protected Areas.” ⤴️

[64] Toledo, “Indigenous Peoples and Biodiversity.” ⤴️

[65] Monica Evans, “Respect for Indigenous Land Rights Key in Fight against Climate Change,” CIFOR Forests News, September 24, 2020, https://forestsnews.cifor.org/67515/respect-for-indigenous-land-rights-key-in-fight-against-climate-change?fnl=en. ⤴️

[66] “Saving Caribou and Preserving Food Traditions Among Canada’s First Nations,” Civil Eats, October 29, 2020, https://civileats.com/2020/10/29/saving-caribou-and-preserving-food-traditions-among-canadas-first-nations/. ⤴️

[67] Tony Marks-Block, “Indigenous Solutions to California’s Capitalist Conflagrations,” MR Online (blog), October 23, 2020, https://mronline.org/2020/10/23/indigenous-solutions-to-californias-capitalist-conflagrations/. ⤴️

Corpus

Voici un ensemble de textes pour vous permettre d’aller plus loin sur ce sujet

  • « PREMIÈRE ÉBAUCHE DES THÈSES SUR LES QUESTIONS NATIONALE ET COLONIALE », LÉNINE, 1920
  • Marxists.org

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Comprendre les rapports de domination a l’echelle internationale

Notre groupe de lecture propose un espace d’auto-formation où nous explorons collectivement les enjeux de l’anti-impérialisme et ses résonances dans les luttes contemporaines, de l’écologie à l’antiracisme. Rejoignez-nous pour des discussions enrichissantes et accessibles, ouvertes à toutes et tous, dans une dynamique d’échange et de partage des savoirs.